• Elle était si belle. Elle avait un visage parfait, fin, avec ses longs cils noirs, ses yeux bleus, profonds, et ses anglaises tombant le long de ses joues délicatement rosées.

    Elle se tenait admirablement droite, dans sa robe bordeaux (avec de la dentelle noire si je me souviens bien), douce, soyeuse, si douce…

    Je l’admirais sur le lit de Mamie Marie. Mamie Marie n’était pas ma mamie mais ma vieille voisine, toute ridée, ma mamie adorée.

    Dès que je sortais de l’école, je me précipitais chez elle. Elle me serrait contre elle. Je m’enfonçais dans ses chauds replis. Elle m’offrait le goûter et elle me racontait son enfance près du Zoo de Marseille. Puis suivant un cérémonial immuable, elle m’emmenait voir SA poupée. Cette poupée, elle ne l’avait pas eu dans son enfance. Non, elle n’avait pas eu grand-chose dans son enfance !

    Cette poupée magnifique, c’est son mari qui la lui avait offerte, tant il l’aimait comme elle disait. Son mari était mort depuis longtemps déjà, mais son mari qui l’aimait tant, c’était tout pour Mamie Marie. Elle m’emmenait alors voir la poupée dans la chambre au fond du couloir. Avant nous passions devant la maquette de la maison qu’elle partageait avec son mari, il y a longtemps, avant de se retrouver dans ce tout petit appartement au cinquième étage d’une cité quelconque. La maquette du mas des Rivaro c’était quelque chose. Je la voyais cette grande maison dans une pinède. Il y avait les marches en calcaire, les pins parasols et on pouvait deviner le soleil, la lumière. Et j’apercevais Mamie, toute jeune, radieuse près de son mari. Mais Mamie Marie m’emmenait plus loin. Là, dans sa chambre au fond de l’étroit couloir, elle n’emmenait que moi, c’était notre secret. La poupée trônait sur le lit. Je rêvais de la prendre dans mes bras, mais c’était la poupée de Mamie Marie et de son mari. Il était impensable de la serrer contre moi. Je n’avais que le droit de toucher le bas de sa robe. Je n’aurais pas pu la plier comme mon vieux chien en peluche qui servait tant à passer mes colères qu’à sécher mes larmes et à recueillir les secrets. Le vieux Samuel qui n’avait presque plus d’oreilles, avec son poil rêche, ne pouvait pas se comparer à la poupée de Mamie Marie. Le vieux chien était mou, doux et il entendait tout, il savait tout. Il était mon abri. La poupée de Mamie Marie, elle était mon envie, mon initiation au monde ancien, le lien. Elle était au bout du couloir, inaccessible. Elle était déjà demain.

    BBLR


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  • La beauté aujourd’hui ce serait le sourire lumineux de la boulangère lorsqu’elle me tend le pain,

    La beauté aujourd’hui, ce serait… Badaboum ! Badaboum ! Entendre les cœurs battre d’espoir. Une aurore mauve, des mouettes, l’odeur iodée d’un changement.

    La beauté aujourd’hui ce serait de lire les mots « parfaits », ceux qui sont tapis profonds, ceux qui savent remonter le cours du temps…

    La beauté aujourd’hui, ce serait d’entendre les journalistes lire de la poésie à 13 heures,

    La beauté aujourd’hui ce serait de cesser la psalmodie des mots usés et jamais interrogés du prompteur.

    La beauté aujourd’hui, ce serait un arrêt, mais promis juste une pause (quelques minutes) des conversations répétitives et à sens unique dans ce métro, ce serait la suspension du martellement des doigts sur les ipads, ipods, iphones, smartphones et débilitumphones …

    La beauté aujourd’hui, ce serait de dérider les visages fatigués dans le RER, de voir mon voisin revenir à la parole ou au rire pendant ce trajet, de partager un livre ou un silence.

    BBLR


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  • Bienvenue ! Bonheur de voir le matin

    Entière avant d’être en terre.

    Nana N’amoureuse ! Maman sans N’amant* mais avec quelques bons N’Amis !

    Et quoi d’autre ? Approche la quarantaine, cheveux châtains (quelques fils blancs), yeux noisettes et nez en trompette, plutôt grande quand je suis

    Debout et Décidée et eh ! eh ! Un brin d’

    Imagination, de création ou d’Idées pour mieux vivre, mais aussi…

    Capable de ne rien faire que regarder s’égoutter les pensées sur le rythme de la pluie qui tambourine. Plic ! Plic ! Plic ! PLIIIIIC ! Plic…plic, plic, plic, plic

    Timide, parfois Triste, parfois maladroite, parfois sympa ou pas, parfois pas grand-chose ou au contraire beaucoup. Tout est affaire de goût, de regard… mais avant de dérouler les mots si variables selon les heures …

    Être toujours moi.

      

    * Le N’amant est mentionné par Albert Londres dans Terre d’ébène, à propos d’un jour de procès à Niafounké…

    BBLR


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  • Par Bénédicte BRUNET-LA RUCHE

    Quels ont été les choix du président élu en 2007 sur l’idée du changement, de la réforme et de « la France qui se lève tôt » ?

    La France qui se lève tôt dans l’esprit de Nicolas Sarkozy est constituée par les chefs d’entreprise. Mais pas n’importe quelle entreprise ! Plutôt la multinationale que la petite et moyenne. Le président nouvellement élu s’est en effet évertué dès son arrivée au pouvoir d’opérer une redistribution fiscale au profit des foyers présentés comme les plus agressés, ceux vivant dans la plus grande insécurité fiscale, à savoir les plus riches (1. la baisse des recettes fiscales au bénéfice des plus riches).

    C’est ce que soulignent notamment Michel et Monique Pinçon-Charlot qui ont collecté les informations à travers Le Monde et Le Canard enchaîné depuis 2007, mais également plusieurs rapports de la cour des comptes et du conseil des prélèvements obligatoires. C’est un constat largement établi mais qui n’a pas été réellement remis en cause, y compris à l’heure de la crise de la dette publique.

    Non seulement le gouvernement Fillon et la majorité parlementaire de droite ont délibérément choisi de réduire les contributions fiscales des plus riches, mais ils ont parallèlement accru les impositions des classes moins favorisées et ont même modifié le sens de la protection sociale et de la contribution publique et fiscale en ne cessant de transformer des revenus de remplacement, des indemnités maladie ou de travail, en revenus (2. la hausse des contributions fiscales des classes moyennes et plus défavorisées).

    Parallèlement les dépenses publiques se sont accrues, mais il est nécessaire de savoir au bénéfice de qui, y compris au moment de la crise économique, avec les prêts accordés aux banques et le programme de relance qu’il convient d’interroger. Quelles ont été les autres dépenses ? Nous irons consulter les rapports de la cour des comptes pour avoir une vision d’ensemble sur cette question (la hausse des dépenses : crise économique, prêts bancaires, plan de relance… : des dépenses pour qui ?... à voir).

    Cela nous permettra donc ensuite de faire un point sur la dette publique, son niveau depuis 20 ans et son évolution depuis 2007, et analyser les réponses apportées jusqu’à présent pour y faire face.

    Nous nous intéresserons enfin à la notion de redistribution économique et fiscale dans notre société en nous interrogeant sur le respect actuellement de l’article 13 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui dispose que « Pour l’entretien de la force publique et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable ; elle doit être également répartie entre tous les citoyens à raison de leurs facultés ».

    1er point : la baisse des recettes fiscales au bénéfice des plus riches

    Le rapport de l’OCDE de 2008 indiquait qu’entre 1985 et 2005 la France figurait parmi les pays où les écarts de revenus avaient le plus diminué, avec la Grèce, l’Irlande et l’Espagne alors que ces écarts avaient augmenté dans les trois-quarts des pays membres notamment aux États-Unis, en Italie ou en Allemagne. Selon ce rapport, les écarts de revenus disponibles auraient commencé à croître aux Etats-Unis dans les années 1970, puis au Royaume-Uni et dans les pays nordiques [1]. La croissance des écarts est essentiellement liée à une forte hausse des plus hauts revenus, que ne parvient pas à suivre celle des revenus plus faibles. Sur ce point, la France semblait donc faire figure d’exception jusqu’à la fin des années 1990.

    Mais dans un rapport d’avril 2011, l’Insee sur « Les revenus et le patrimoine des ménages » souligne que si les inégalités de niveau de vie avaient peu évolué entre 1996 et 2008, la stabilité du rapport interdécile (D9/D1) ne donne pas d’indications sur l’évolution des revenus situés en dessous du premier décile et au-dessus du dernier décile. Elle ne peut donc rendre compte de la croissance des inégalités par le haut.

    Or si on prend en compte les statistiques fiscales, le revenu moyen des foyers fiscaux est passé de 22 481 euros à 25 347 euros, soit une croissance de 12,7% entre 1998 et 2006, mais avec une très forte inégalité  selon les groupes : « Alors que pour 90% des foyers, le gain total de revenu réel a été 12,4%, il a été de + 26,9% (soit + 3% par an en moyenne) pour les 1% les plus aisés et de 43,3% (+ 4,6% par an) pour les 0,1% les plus aisés. Tout en haut de la distribution, le revenu moyen des 0,01% des foyers fiscaux les plus aisés a crû de 63,7% (+ 6,3% par an) » [2]. L’étude de l’Insee de 2010 sur les « revenus et patrimoines des ménages » confirme la poursuite de cette tendance en 2010

    Graphique : Évolution du revenu réel moyen par fractile de revenu, base 100 en 1998

    La parabole du « fisc » prodigue - Janvier 2012 Source : Landais (2008), [2]

    Alors que la part du revenu des 1% les plus aisés augmente dans le revenu total, en lien avec la croissance des revenus du patrimoine et du capital [3], le président de la République nouvellement élu en 2007 a décidé de restreindre leur participation à la redistribution fiscale et de leur accorder des cadeaux au détriment du budget national.

    En effet dès l’été 2007, une loi appelée « sur le travail, l’emploi et le pouvoir d’achat » introduit :

    1° un bouclier fiscal destiné à protéger les hauts revenus, le président estimant qu’il n’est pas possible de demander à un contribuable de donner à l’État plus de la moitié de ses revenus, et à éviter leur fuite,

    2° un ensemble de niches fiscales, qui vont à l’encontre du principe de l’égalité fiscale et de la redistribution,

    3° une baisse de la fiscalité sur les successions et les donations qui profite majoritairement aux plus riches.

    Avec le bouclier fiscal, le plafond de l’impôt sur le revenu est abaissé de 60 à 50% de l’ensemble des revenus, mais sans compter ceux qui ont pu être déjà limités par leur placement dans des niches fiscales ou dans des paradis fiscaux. Le taux réel d’imposition n’atteint donc pas 50% pour les plus fortunés puisqu’une partie des revenus échappe à la déclaration fiscale. Ainsi les 352 ménages les plus riches de France se sont vus appliquer un taux moyen d’imposition de seulement 15% selon le Conseil des prélèvements obligatoires [4]. Par ailleurs, toutes les impositions, les taxes (taxes foncière et d’habitation) mais aussi, et c’est une nouveauté de la loi TEPA, les contributions sociales (cotisations pour les fonds de retraite par capitalisation, CSG, contribution sociale généralisée, et CRDS, contribution au remboursement de la dette sociale) sont prises en compte dans le calcul du bouclier fiscal. Par conséquent, alors que les ménages non imposables sont prélevés à la source pour la CSG et la CRDS, sur leur salaire, ces deux contributions contribuent pour les ménages les plus élevés à l’activation du bouclier fiscal [5]. Au moment même de la crise économique, le 8 octobre 2008, la majorité parlementaire a inclus dans le calcul du bouclier fiscal la taxe de 1,1% sur les revenus des placements d’épargne qui sert à financer le revenu de solidarité active (RSA) [6]. Les plus riches se voient donc exemptés de ce prélèvement, ainsi que de toute nouvelle imposition qui se trouve à la charge des ménages disposant de revenus inférieurs.

    Ce sont 591 millions d’euros qui ont été restitués aux bénéficiaires du bouclier fiscal le 28 février 2011 sur leurs déclarations fiscales de 2009. Parmi ces bénéficiaires, 47% sont assujettis à l’ISF et se sont partagés 99% de l’enveloppe redistribuée, ce qui souligne encore une fois le lien entre les plus fortes richesses et les bénéficiaires de la redistribution fiscales, dans une version inversée de la notion de redistribution [7]. Cette réforme va à l’encontre même de la notion de répartition de la charge fiscale entre tous les citoyens à raison de leurs facultés.

    Face à la contestation sur le maintien de ce bouclier fiscal en pleine crise financière et économique, il était décidé au printemps 2011 de supprimer ce bouclier fiscal, mais en allégeant parallèlement l’impôt sur la fortune (ISF). L’imposition de la tranche la plus élevée de l’impôt sur le revenu est portée de 40 à 41% sans activer le bouclier fiscal en 2011 (+ 230 millions d’euros), là où la tranche supérieure de l’impôt est à 45% en Allemagne et 50% au Royaume-Uni [8].

    2ème point : la hausse des contributions fiscales des classes moyennes et plus

    Bien que le président de la République ait affirmé qu'au-delà du rabotage sur les niches fiscales, il refusait « absolument la perspective d'une augmentation générale des impôts » (discours au Conseil économique, social et environnemental le 14 janvier 2011) qui tuerait la compétitivité [9], le gouvernement a pourtant réussi à faire voter 23 nouvelles taxes en cinq ans [10], certaines constituant certes la suppression d’une niche mais d’autres créant bien ex nihilo de nouvelles contributions qui n’ont jamais été envisagées dans une perspective de progressivité et portent donc sur les classes moyennes et moins favorisées.

    Alors même que le candidat Sarkozy s’engageait à réduire le niveau des prélèvements de cette fameuse « France qui travaille », le taux de prélèvements obligatoires entre 2007 et 2012 est passé de 43,6% à 44,5% du PIB (données OCDE), contre 40,5% en 2000 [11].


    (1)
     OCDE, « Growing Inequal », 2008, cité par Conseil des prélèvements obligatoires Prélèvements obligatoires sur les ménages : progressivité et effets redistributifs - mai 2011, http://www.ccomptes.fr/fr/CPO/Accueil.html, p. 19-20.
    (2) C. Landais, « Les hauts revenus en France (1998-2006) : une explosion des inégalités ? », 2008, cité par Conseil des prélèvements obligatoires, ibid., p. 20.
    (3) Ibid., p. 23.
    (4)  Michel Pinçon, Monique Pinçon-Charlot, Le président des riches, enquête sur l’oligarchie dans la France de Nicolas Sarkozy, Paris, La Découverte/Poche, 2011, p. 22.
    (5) Ibid., p. 23.
    (6) Ibid., p. 24.
    (7) Ibid.
    (8) Michel Pinçon, Monique Pinçon-Charlot, Le président des riches, enquête sur l’oligarchie dans la France de Nicolas Sarkozy, Paris, La Découverte/Poche, 2011, p. 22.
    (9) http://www.elysee.fr/president/les-actualites/discours/2011/discours-a-l-occasion-de-la-seance-inaugurale.10440.html?search=augmentation&xtmc=augmenter_les_impots&xcr=5. Cette affirmation a été réitérée dans de nombreux autres discours.
    (10) Article du Monde le 21 octobre 2011,  http://www.lemonde.fr/politique/article/2011/10/21/au-moins-24-nouvelles-taxes-ont-ete-creees-en-cinq-ans_1591172_823448.html
    (11
    Ibid.


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  • Par Bénédicte BRUNET-LA RUCHE

    La doctrine néolibérale considère que le marché du travail doit être libéré des « rigidités » qui entravent la rencontre entre l’offre et la demande d’emploi. Les réglementations doivent être limitées au maximum afin de permettre la flexibilité et l’ajustement des conditions de travail (salaire et horaires). L’insécurité de l’emploi est valorisée afin de le préserver. Parallèlement, les oppositions syndicales, les réglementations sociales plus protectrices d’un pays sont des éléments constitutifs de ces « rigidités » du marché du travail qu’il conviendrait de limiter, voire d’éliminer. Le vocabulaire récurrent sur la « flexibilité » et les « rigidités » du marché du travail permet de tendre vers l’anéantissement des droits sociaux qui ont fait l’objet de luttes pendant plus d’un siècle et demi sans l’énoncer directement.

    Cependant certains hommes politiques indiquent clairement leur choix. La société irlandaise d’aviation low cost Ryanair est mise en examen en 2010 pour « travail dissimulé » parce qu’elle appliquait la législation irlandaise à ses personnels installés en France. Immédiatement, son « charismatique » PDG décide de se délocaliser dans un autre pays européen. La compagnie Ryanair ne respecte pas la législation française et ne paie pas les prélèvements sociaux dus sur le territoire national. Mais le maire de Marseille Jean-Claude Gaudin accuse « le comportement irresponsable » des syndicats, qui ont osé porter plainte, d’avoir « poussé l’entreprise irlandaise hors du territoire français » [1]. L’irresponsabilité se trouve donc du côté des syndicats qui demandent le respect de la législation. L’emploi mériterait, selon nombre d’élus ou d’experts, de passer outre la loi ou de la « changer » selon les intérêts des seuls investisseurs pour imposer des réglementations irlandaises, espagnoles ou anglaises à des travailleurs installés sur le sol français. Parallèlement les entreprises européennes seraient exonérées de toute contribution fiscale et sociale bien qu’elles puissent bénéficier des équipements, voire parfois de subventions françaises. Lors du même entretien sur France Inter le 14 octobre 2010, Jean-Claude Gaudin estimait à propos de l’opposition au projet de loi sur les retraites que « dans ce pays, c’est encore au Parlement à faire la loi, ça n’est pas aux syndicats ni même à la rue de décider. Nous sommes dans un État de droit ». Que faut-il entendre par État de droit ? L’État de droit interdit-il les manifestations légales et autorise-t-il le non respect des réglementations ? Les propos de Jean-Claude Gaudin soulignent que les « rigidités » sur le marché du travail sont explicitement assimilées aux syndicats trop légalistes, voire à la réglementation française elle-même trop protectrice des travailleurs au détriment de l’emploi précaire.

    L’imprécation de la croissance économique ne se pense que grâce à l’insécurité de l’emploi. L’ancien président de la réserve fédérale américaine Alan Greenspan n’estimait-il pas qu’une « croissance économique soutenue » est possible grâce à une « restriction atypique des augmentations de rémunération, [qui] semble être pour l’essentiel les conséquences d’une plus grande insécurité de l’emploi » [2]. Cette santé de l’économie se trouve également renforcée aux yeux de Greenspan par les difficultés des travailleurs à exercer leurs droits et à s’organiser collectivement du fait de l’insécurité sur le marché de l’emploi. Et de citer notamment les « effets des fermetures d’usines sur le principe de liberté d’association et le droit des travailleurs des trois pays [de l’ALENA, Canada, Mexique et États-Unis] à s’organiser » [3]. Le même chantage à la délocalisation des entreprises que celui réalisé par la société Ryanair est constaté à travers l’application du traité de libre échange ALENA par la professeure Kate Bronfenbrenner. Réalisant une enquête sur l’ALENA, elle soulignait que « près de la moitié des tentatives d’implantation des syndicats sont compromises par les menaces brandies par les employeurs de délocaliser leur production à l’étranger, au Mexique » [4].

    Derrière la psalmodie religieuse de la croissance économique, les hommes politiques oublient que cette croissance n’est pas un objectif politique en soi. Ils perdent de vue qu’elle est destinée à répondre aux besoins de tous et non d’une très faible proportion de la population, donc que l’insécurité et les faibles niveaux de rémunération et de vie de la majorité ne devraient pas être leurs buts. Pourtant ils le deviennent par leur raisonnement.

    Les élus politiques et les experts conçoivent la politique comme un marché composé d’individus n’ayant pas de conscience commune mais mus par des buts de consommation. La politique ne répond pas à une société dont on cherche la cohésion mais à une collection d’individus et de « clients ». Et le mot client mérite d’être souligné. Un exemple parmi d’autres. Fin 2011 le gouvernement français ne réalise qu’une faible campagne médiatique sur les inscriptions électorales à la veille d’un suffrage présidentiel, sous prétexte que l’inscription relève de la « responsabilité individuelle ». Parallèlement le même gouvernement se félicite d’être parvenu à faire inscrire sur les listes électorales le millionième Français de l’étranger et électeur potentiel pour le président en place [5]. Comme le souligne le secrétaire général adjoint de l’UMP, Marc Philippe Daubresse, « Il y a eu des spots à la télévision sur plusieurs chaines de télé et notamment concernant les Français de l’étranger » [6]. Ces choix relèvent du « clientélisme », d’une politique de marché et non d’une politique digne d’une démocratie.

    Individus clients, dont les appartenances collectives dans le travail et à l’extérieur sont volontairement minées, contre société avec des liens à maintenir et renforcer, nous voyons bien quelles sont les orientations au sein de la classe politique. Cette oligarchie politique elle-même recrutée selon son caractère « vendable » et considérant les individus comme des « clients » et non des citoyens, s’accommode de la « privatisation de la société », du désintérêt des individus pour la chose publique [7].

    Repenser l’objectif de la politique, la nature de la société et des liens sociaux, le sens de la croissance économique et du travail apparaissent comme cardinaux à l’heure actuelle. A suivre...

     

    (1) http://mobile.agoravox.fr/tribune-libre/article/entre-ryan-air-et-les-retraites-l-82879 et http://www.francesoir.fr/pratique/transport/ryanair-va-quitter-marseille-58104.html

    (2) Propos prononcés en 1997 à propos de l’ALENA et cités par Noam Chomsky, Le Profit avant l’homme, 10/18, 2004, p. 163.

    (3) Ibid., p. 164.

    (4) Ibid.

    (5) http://www.europe1.fr/Politique/Courtial-appelle-a-voter-en-masse-en-2012-861679/

    (6) http://lci.tf1.fr/politique/inscription-sur-les-listes-electorales-l-opposition-sonne-la-6905221.html

    (7) Cornelius Castoriadis, La montée de l’insignifiance, Les carrefours du Labyrinthe, tome IV, Paris, Le Seuil, 1996, p. 14.


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