• Les élus ne devraient pas se comporter comme des oligarques libéraux. Or leur manière d’être et leurs discours sont souvent empreints de ce sentiment de classe et de cette idéologie.

    G. Collomb, maire de Lyon interviewé ce matin sur France-Inter dans le 7/9, en a encore donné un exemple saisissant. Il ne parle pendant un moment que de questions financières, « le nerf de la guerre », toute la politique semblant se cantonner là. Il mentionne ensuite s’opposer à une augmentation trop rapide de la péréquation entre villes riches et villes pauvres, en justifiant cela par le fait que les grandes agglomérations assurent déjà pleinement cette péréquation, comme par exemple entre Lyon et Vaulx-en-Velin. Maintenant la mixité fonctionnerait bien à Vaulx-en-Velin grâce à cette péréquation venant de Lyon. Mais cela aussi signifie aussi que la décision de cette péréquation est faite par le plus gros, Lyon, pour Vaulx-en-Velin, c’est-à-dire finalement par le riche ou le puissant pour le pauvre et selon l’image de ce puissant.

    Par ailleurs les zones rurales sont oubliées, mais elles seraient, selon G. Collomb, essentiellement encombrées de riches retraités. Faudrait-il quand même souligner qu’un grand nombre de zones rurales sont loin d’être seulement des zones de villégiature ?

    A la question posée par un auditeur sur les choix faits par la ville concernant la construction d’un stade, M. Collomb répond de manière ironique ; « Mr semble bien au fait des enjeux de l’agglomération ! » Il renvoie encore -et comme bien souvent d’autres élus le font- les citoyens s’occuper de leurs affaires privées, comme si le champ politique n’était pas de leur ressort mais seulement le domaine des « professionnels ». Nous sommes tout à fait dans ce que Cornelius Castoriadis appelait « la privatisation » du politique, indiquant aux hommes du commun « Vaquez donc à vos affaires, braves gens, ne vous souciez pas du bien commun, c’est notre affaire, vous n’y comprenez rien ».

    Enfin, un autre auditeur indique avoir sollicité G. Collomb par écrit pour proposer de lancer un débat sur le mariage pour tous dans la ville de Lyon. Il n’a pas reçu de réponse de la part de son élu, ce qui est le lot commun des citoyens qui interpellent leurs élus qui estiment souvent qu’une fois le bulletin de vote mis, ils n’ont plus de compte à rendre à leurs électeurs.

    Lors de cette interview sur France-Internet, Mr Collomb n’a fait qu’exprimer son avis sur le mariage pour tous, ce qui n’était pas question posée, et il n’a pas du tout répondu sur la mise en place d’un débat public dans la ville.

    La démocratie a largement besoin d’être rénovée pour que le débat collectif puisse enfin exister et non pas être accaparé par les « professionnels » de la politique. N’est-ce pas aussi de la responsabilité des journalistes d’assurer l’éthique de ce débat, et de rappeler a minima à l’élu qu’il n’a même pas répondu à la question ?

    A quand un débat sur la question de la qualité de la vie démocratique ?

    BBLR


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  • L’hymne à la joie, hymne de l’Europe, est muet. Pas de paroles, comme l’Europe qui ne s’exprime pas. Pourquoi ne pas imaginer des paroles ? Quel compositeur pourrait faire parler cette grande muette ? Pour exprimer ce que l’Europe pourrait être, en miroir de ce qu’elle n’est pas aujourd’hui.

    BBLR

    La grande muette - 7 décembre 2012


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  • De Margerie est invité ce matin sur France-Inter. Il nous dit qu’il suffit de changer de vocabulaire pour que le gaz de schiste devienne acceptable. Oui, le terme de fracturation fait peur, le problème est tout simplement là. Changeons-le. Adoptons le vocable de stimulation et tout ira mieux ! Cosmétique du vocabulaire pour faire avaler une pilule plus qu’amère.

    Et ce soir nous avons droit à un « débat » sur le gaz de schiste sur la même radio. Deux invités favorables au gaz, le patron de l’industrie et un journaliste du Parisien, et un opposant isolé. Est-ce un débat ? Non, c’est un assaut de communication en faveur du gaz lancé depuis quelques temps sur nos ondes. Assaut de com. pour nous faire avaler ce gaz comme un futur désirable !

    BBLR


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  • Ruée vers le gaz et le pétrole de schiste… aux Etats-Unis, en Chine… ça y est, on a trouvé la nouvelle mine, le nouvel or…

    Ou surtout le moyen de garder plus longtemps les yeux fermés sur la finitude de ressources que nous allons chercher toujours plus loin, en mettant toujours plus en danger notre ressource première, l’eau.

    Chanson de Gotainer : « Comment vous dites ?, de l’eau de source ? Et pourquoi pas une baleine bleue… un éléphant, un bébé ours… sans plaisanter, restons sérieux… » un refrain que nous n’entendons pas… oui de l’eau de source, celle que nous ne savons même plus voir, la merveille, une couleur plus claire que la lumière. Notre vie.

    Sur La route de Cormac Mac Carthy, nous nous lançons comme on lit ce livre, pour se rendre compte au détour des pages de l’envers de cette terre sans vie, de la beauté du monde que nous nous efforçons de détruire. Miroir. Nous sommes toxicomanes, dépendants d’un mode de vie insoutenable… et nous nous efforçons de ne pas y penser.

    BBLR


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  • Lu dans Causette. Le portrait d’un directeur d’école à Marseille. Sa fille a été contrainte à boire une quantité énorme de vodka. « Inconsciente », « inerte » selon les termes de ses agresseurs, elle a été violée successivement par tous les membres du groupe. Elle est morte dans ses vomissements sous le regard de ses bourreaux qui ont craint d’avertir les secours.

    Mais au cours des deux procès d’assises, ses violeurs ont continué de l’appeler « la chienne ». L’agenda de sa mère, qui s’inquiétait les derniers mois pour sa fille et notait les rencontres de cette dernière, a été utilisé aux procès pour montrer qu’elle rencontrait beaucoup d’hommes.

    Il y a peu de temps, un procès s’est encore tenu en région parisienne, et les victimes ont été sommées de se taire.

    Quand une vieille dame se fait voler son sac à main dans la rue, qui irait demander pourquoi elle porte un sac à main visible et facile à voler ?

    Même la drogue, l’alcoolisation, la mort, ne parviennent pas à enlever le sceau du doute pour la femme violée. Elle a bien dû à un moment laisser le doute s’instiller. Flétrissure sur la victime. Flétrissure elle reste, cette marque sur la femme violée. Jusqu’à quand ?

    BBLR


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  • Dans le sud-ouest, l’été, le soleil tait la terre.

    La chaleur tombe sur le sol, l’écrase, le craquelle. De grosses mottes sèches dans les champs. L’été enserre le vivant de silence. Seule la chaleur s’écoule sur les pierres ; seuls les pas résonnent sous le soleil brûlant. Des feuilles séchées tombent, seul bruit. L’eau de la rivière est muette, elle glisse plus qu’elle ne coule… jusqu’au Tarn, une nappe d’eau étale.

    Dans le sud-est, l’été, la chaleur bruit. Le son continu des cigales, le bruit de la mer et des graviers sous les pieds, le vent iodé dans les oliviers.

    BBLR


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  • Étonnant ce qu’on perd d’épaisseur dès qu’on se marie. A partir de cet instant, et bien que la notion de chef de famille n’existe plus, le ministère des Finances ne s’adresse plus à vous pour remplir la fiche d’imposition mais à votre conjoint. Peu importe que vous travailliez tous les deux ou non, la fiche d’imposition parviendra à Monsieur… Vous n’êtes plus censés avoir droit de regard sur la feuille d’impôt, sur la contribution fiscale à la nation qui vous concerne pourtant en qualité de citoyenne. Mais la citoyenne ne semble pas devoir être impliquée dans la déclaration familiale d’impôt bien qu’on puisse la poursuivre ensuite par solidarité avec son mari en cas de non paiement.

    Un peu comme lorsque la femme était considérée comme une grande irresponsable sur les plans civil et politique, inaccessible à la raison citoyenne…. et pourtant reconnue responsable des crimes, délits et contraventions commis. Étonnantes contradictions !

    Et cela se poursuit lorsque vous recevez un appel qui vous dérange dans votre travail, un appel comminatoire qui demande à parler au Docteur V.

    Ah ! Oui, et de la part de qui ? Vous en êtes presque à dire d’une voix aigüe, secrétariat du Docteur V., j’écoute !

    … de …, là, la voix devient incompréhensible, le débit, parti au galop, le ton monocorde, hachant tous les mots, a surtout permis à l’interlocuteur de ne rien comprendre. La fin seule peut être entendue, tranchante. Motif professionnel… pour parler au Docteur V.

    Ah ! Bon mais pour quel motif ? Vous savez faire la cruche, vous en abusez.

    - Encore un mot incompréhensible, la voix est repartie de son allure folle. Puis cette voix mécanique, hautaine, demande à nouveau à parler séance tenante au Docteur V…. indiquant en vrac, loi Scellier, fiscalité, fiche d’imposition…

    Ah, si c’est pour l’imposition, vous pouvez m’en parler, je suis sa femme…

    Ah ! Bon, je croyais que c’était un numéro professionnel… A quelle heure pourrais-je alors parler au Dr V…

    Eh ! Oui, encore une fois, la femme qui partage normalement toutes les joies et les difficultés avec son cher et tendre, se trouve évacuée, évaporée. Elle se transforme en vapeur inconsistante devant le fisc et les conseillers en patrimoine. Sans doute parce la gente éthérée ne comprend pas grand-chose à ce grand domaine viril de la fiscalité, à la notion de patrimoine et autres possessions matérielles. Les hommes font leurs affaires du patrimoine familial. Les femmes n’ont pas à s’en occuper, sauf lorsque surviennent des dettes en cas de difficultés. Et après la mort de l’homme. On pourra alors entendre un enfant, y compris sa fille, dire : « oui, ma mère n’avait pas l’habitude de remplir la feuille d’impôt, depuis la mort de Papa c’est Julien qui est obligé de l’aider… ».

    Mais même si elle avait voulu la remplir cette fameuse fiche d’imposition, le fisc ne le lui demande pas et l’ignore… tout au moins pour remplir les cases.

    La femme mariée est évanescente pour le fisc, elle est le gadget qui accompagne le détenteur du portefeuille d’actions pour les conseillers en patrimoine ou fiscaux.

    Alors que dire des concessionnaires et garagistes. Bien que votre voiture soit à vos deux noms, bien que ce soit vous qui l’ameniez aux révisions et contrôles techniques, le garagiste ne connaîtra jamais que le nom de votre mari.

    Tous ces symboles du mâle perdurent. Vous laissez couler, comme d’hab, mais ces symboles ont des conséquences comme votre évanouissement d’une certaine sphère de la vie publique. Ces manières de fonctionner vous énervent, elles sentent le suranné et pourtant elles restent caractéristiques encore de notre société.

    BBLR


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  • Ce matin, 6h50 environ. J’entends à la radio une bonne nouvelle. Un homme israélien s’est filmé, sa petite fille dans les bras. Sur le film il explique qu’il ne souhaite pas la guerre avec l’Iran. Qu’il est homme, père, et qu’il aime les Iraniens. Il ne représente ni ne parle au nom de ses gouvernants mais il parle en tant qu’homme refusant la guerre et d’envoyer des bombes sur l’Iran. Il est membre d’un peuple aimant les Iraniens malgré des gouvernants gesticulant les uns contre les autres, menaçant…

    Il a posté son film sur Internet. A sa suite, des dizaines d’Israéliens ont posté des films semblables, expliquant leur refus de la guerre contre un autre peuple, et puis…

    Et puis des Iraniens ont à leur tour posté des films sur Internet dans lesquels ils témoignent eux aussi de leur amour pour l’autre peuple et de leur refus de lui faire la guerre…

    J’étais en train de faire je ne sais plus quoi. Je me suis arrêtée et j’ai pensé : « il fait beau ce matin et le murmure des nouvelles est bon à entendre… Les personnes pensent par elles-mêmes, s’expriment, et elles peuvent faire avancer les choses au-delà de la bêtise de leurs dirigeants… » jusqu’à ce que la journaliste ajoute : « Biens, soyons un peu plus pragmatiques… » et elle a changé de sujet.

    Pourtant cette manière de s’exprimer, de dire « non », de s’opposer à ce que les médias parfois annoncent comme inévitable, me parait très pragmatique… surtout lorsque le murmure enfle et fait écho à des milliers de km, entre pays dits ennemis.

    Qu’appelle-t-on pragmatisme…. le cynisme ?

    BBLR 


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  • En attendant le RER le soir à Cergy-Préfecture, je lis L’intuition de l’instant de Gaston Bachelard. J’entends un murmure fredonné. Un chant susurré, quasi religieux, chemine. Je lève les yeux. Je ne sais d’où il vient. L’air revient, danse encore. Je me lève, à sa recherche.

    Et je vois la femme. Assise bien droite sur le banc devant, serrée dans un chemisier blanc et un tailleur, ses lèvres s’entrouvrent à peine, son regard se porte ailleurs, sur un point fixe au loin. Chant léger, interstice d’un temple ouvert sur l’intérieur…

    Le RER arrive dans un crissement épouvantable. L’odeur du caoutchouc brûlé, systématique. Le bruit des freins couvre la voix frêle, sa voix mélodieuse, sa voix réelle. Elle se lève et part rapidement vers l’avant du train, emportant son murmure et l’instant…

    Le RER suit la voie…

    BBLR 


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  • Chère Madame,

    En tant que directeur de la nouvelle DCTJSLP* j’ai pris le temps de vous recevoir une fois l’année dernière, le 30 novembre précisément, pendant près d’une heure pour que nous envisagions ensemble les objectifs de votre service. Vous savez combien mon emploi du temps est chargé en représentations, petits fours et mondanités, sans oublier mes abonnements à l’opéra et mes vacances à Courchevel. J’ai tout de même sacrifié une bonne heure à vous recevoir, sans en attendre d’ailleurs le moindre remerciement de votre part. Vous m’avez immédiatement fait remarquer par votre regard peu amène que vous attendiez depuis environ heure trente dans le couloir. Mais dois-je vous rappeler qu’un directeur de la DCTJSLP est amené à régler des tâches de la plus haute importance, comme celle de connaître les décorations accordées aux autres directeurs et membres distingués de notre chère organisation. Vous pouvez comprendre qu’un directeur ne maîtrise pas toujours son temps. La directrice adjointe ne vous-a-t-elle pas d’ailleurs permis de passer agréablement ce temps d’attente en allant lui chercher un yaourt à la cantine ?

    J’ai pu constater à cette occasion une certaine inadaptation de votre part à la nouvelle organisation, qui suppose comme l’a clairement rappelé la directrice de la communication une capacité d’adaptation à toutes les situations, une souplesse de caractère et un enthousiasme indéfectible.

    Mais ne m’attachant pas à ce premier regard courroucé, je vous ai reçue très cordialement. A cette occasion je vous ai accordé toute ma confiance pour que vous puissiez fixer les objectifs de votre service en toute liberté. Vous avez pu m’entendre vous encourager à la responsabilité et à l’autonomie dans le choix de vos actions et dans les modalités de leurs réalisations. Je me souviens même avoir vanté votre intelligence et votre sens du service public. Malgré mes compliments sur votre dynamisme et votre volonté d’agir pour le bien de l’organisation, vous avez cru bon de vouloir entrer dans le détail des activités que vous avez à accomplir avec vos agents. Vous avez même commencé à contester les principes de la nouvelle organisation en mettant en avant un faux problème. Certaines activités auraient donc du mal à être réalisées compte tenu de la réduction drastique des effectifs depuis plusieurs années ? Voyons, soyez réaliste et ouvrez les yeux : cette vision archaïque du « toujours plus » ne peut raisonnablement être poursuivie. La nouvelle organisation s’est attachée à réformer toutes ces vieilleries, afin de faire mieux avec moins, de faire autrement comme le bon chef de famille qui préside dans notre code napoléonien. Si je vous accorde ma totale confiance, ce n’est pas pour que vous m’entreteniez de questions prosaïques sur les difficultés de tel ou tel établissement à faire face, ni même sur les défaillances de votre service à accomplir certaines activités. Vous ne semblez pas saisir le nouvel organigramme, et notamment les répartitions de fonctions entre stratégie et communication d’un côté et pragmatisme-exécution de l’autre. Cette incapacité à cerner les acteurs sur l’échiquier et leurs fonctions est très préjudiciable à l’organisation. - Soyez pragmatique, vous ai-je donc dit, et exécutez simplement ce que l’on vous demande, je m’occupe de la stratégie, du cadre et des fonctions. - Vous êtes libre - ai-je ajouté, de fixer vos objectifs comme vous l’entendez dans ce cadre. L’organisation vous fait confiance. Adressez-moi vos objectifs pour l’année prochaine, avec l’échéancier d’ici mardi prochain. Et n’oubliez pas d’y intégrer le rattrapage des fonctions non réalisées sur les quatre derniers mois du fait de la vacance de votre poste.

    Mes propos étaient volontaires, directs, destinés à vous mobiliser davantage dans l’organisation réformée que vous veniez de réintégrer après plusieurs années à l’extérieur de nos frontières.

    Aussi quelle n’a pas été ma surprise lorsque j’ai lu vos objectifs le mardi suivant ! Vous n’aviez pas même intégré les fonctions si capitales d’analyse financière des 67 établissements du département… Vous sembliez oublier les orientations majeures de l’Organisation, à savoir, dois-je encore vous le rappeler, parvenir à la rentabilité financière de ces établissements et sortir de leur assistanat ! Adoptant votre ton plaintif, vous avez encore mis en avant l’insuffisance des effectifs pour réaliser cet objectif majeur, mais vous avez consenti à positionner prioritairement trois agents sur cette tâche en délaissant parallèlement une autre fonction qui est bien plus secondaire pour l’Organisation, celle du contrôle.

    J’en arrive à soupirer devant tant de naïveté, Madame. Je n’ose dire de bêtise… Vous ne vivez pas dans le monde des Bisounours. Il est temps de vous en rendre compte. L’Organisation ne vous autorise pas à abandonner certaines tâches sous le fallacieux prétexte que vous n’avez pas les moyens de les remplir. J’ai donc été encore contraint de passer du temps à vous expliquer, comme à une enfant un peu idiote, que vous devez inscrire l’objectif de contrôle, quelle que soit la situation de votre service. Il s’agit d’un affichage indispensable pour l’organisation. Bien sûr cet affichage est essentiel pour moi puisque je devrais le présenter au directeur du YATIUPDL** pour validation. Le directeur ne comprendrait pas qu’il n’y figure pas puisque cela entre dans nos attributions, comprenez-vous ?

    Vous serez de votre côté tout simplement responsable de l’exécution du contrôle avec les moyens dont vous disposez, vous comprenez ? Vous êtes entièrement libres de vous organiser dans ce cadre et vous contestez une telle autonomie de travail ? Je ne vous comprends pas.

    Et après plusieurs éclats du même acabit de votre part, vous venez de m’écrire que vous ne voulez plus avoir honte de votre travail et « accepter l’inacceptable ». Mais de quoi parlez-vous donc ? Avez-vous pensé à votre sécurité ? Et à celle de vos enfants ? Combien de fonctionnaires payés à vie accepteraient de changer, d’abandonner leur sécurité pour un pseudo confort moral ?

    Vous ne tiendrez guère longtemps, Madame, sur un marché du travail qui ne vous attend pas. Connaissez-vous les difficultés pour vous recaser à votre âge ?

    Et que lui reprochez-vous d’être devenu à la fin à votre travail ? Il me semble que vous êtes bien exigeante. Il n’a plus de sens et vous ressentez une cassure entre ce que vous pensez qui doit être et ce que vous devez faire. Mais que cela veut-il donc dire ? Vous n’êtes là que pour imposer un retour à l’équilibre à toute force et sans prise avec les réalités et les personnes qui traversent les établissements ? Et alors ? N’êtes-vous pas contente de toucher votre salaire à la fin du mois ? Vous accusez la nouvelle organisation de n’être que médiocrité, mais vous me semblez bien présomptueuse. Le principe de réalité, vous connaissez ? Je vous avais dit de faire le gros dos, d’attendre encore un an ou deux que les choses se tassent mais vous êtes trop impatiente et finalement inadaptée au pragMMatisme demandé.

    Oui, nous appuyons dans l’organisation sur les M pour souligner leur importance. Vous ne semblez pas bien maîtriser le vocabulaire, ni même la grammaire de la nouvelle organisation.

    Je vous annonce donc Madame, que je vais me trouver dans l’obligation de rompre notre contrat si vous entendez vivre et travailler autrement que selon nos conventions. Je vais devoir rompre le contrat de servitude volontaire qui nous liait, si vous refusez les conventions majeures, celles qui imposent d’avoir peur du lendemain, d’obéir sans poser de questions et de ne pas avoir de réflexion commune avec les autres. Madame, vous refusez les règles de l’Organisation en vous interrogeant sur ses modes de fonctionnement. Alors veuillez trouver ci-joint le formulaire de rupture de votre contrat avec chauffage intégré au service d’on ne sait plus qui ni quoi.

    Mr Edouard Commun

    Directeur de DCTJSLP

      

    Post-Scribouillard : vous serez bien obligeante de remplir également la fiche d’évaluation sur cette séquence rupture, avec vos appréciations libres sur les attitudes de la directrice des ressources humaines à cette occasion. En effet, cette évaluation des ruptures avec l’organisation doit servir à l’évaluation des objectifs de la directrice des ressources humaines, donc à sa notation et à son avancement. Je pense que vous comprendrez donc tout son intérêt.

    La directrice de la logistique me demande de vous préciser que le formulaire doit être envoyé en trois exemplaires dans la mesure où nous ne disposons plus de papier depuis janvier et ce, jusqu’à la prochaine commande annuelle au siège en novembre. Merci aussi de remplir les trois formulaires au crayon, compte tenu des éventuelles modifications de dernière minute que nous serions amenés à faire dans l’intérêt commun.

      

    * Direction c’est très joli sur le papier

    ** Y a-t-il un pilote dans l’avion

    BBLR


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  • Dans son ouvrage « Des gens très bien », Alexandre Jardin nous interroge sur notre conception du bien, sur le danger à s’accaparer ces notions de bien ou de « moindre mal » (cf. Livres).

    Le sentiment de faire le bien ne doit-il pas toujours être questionné, ainsi que la société qui formule ses notions de bien et d’honnêteté ? Ce sentiment bien joufflu et tranquille n’est-il pas le plus dangereux des somnifères, celui qui nous permet de fermer les yeux sur les conséquences inhumaines de nos actes ? N’est-il pas le digestif qui nous permet en toute bonne conscience d’avaler les pires infamies ? En refermant ce livre, mes pensées se bousculent. Je ne peux m’empêcher de penser aux discours de Reagan sur l’« Empire du mal » pour désigner l’union soviétique ou ceux de Bush sur « l’axe du mal » pour pointer les pays dits terroristes et justifier le recours à la surveillance, à l’enlèvement et à la torture à l’échelle mondiale. Ces discours incarnaient le bien. Ils ont conduit à des atrocités. Pourtant ils étaient ingurgités en toute bonne conscience par la population américaine et une grande partie du reste de la population occidentale. N’avez-vous pas entendu après les attentats de 2001 des personnes autour de vous estimer qu’il est parfois utile d’avoir des interrogatoires un peu « musclés » pour éviter des catastrophes bien plus graves ? La torture deviendrait ainsi le moindre mal. Les images tournant en boucle, les médias affolés ne vous ont-ils pas vous-mêmes interrogé sur le danger et les moyens de le faire cesser ? La peur n’a-t-elle pas déferlé et redéfini les notions du bien et du moindre mal dans une partie du monde, en toute bonne conscience ?

    Mais je ne peux m’empêcher aussi de penser aux discours actuellement entendu, ces propos qui instillent un état d’esprit, qui redéfinissent encore une fois les frontières du bien et du « moindre mal », du mal acceptable pour aller mieux ensuite. Les discours sur l’assistanat, qui pointent le méchant chômeur qui profiterait du système pour refuser un travail, qui n’aurait pas la dignité d’accepter n’importe quel travail alors qu’il est rémunéré pour son non travail. Ces propos font l’impasse des cotisations versées par le chômeur pour faire face au risque chômage quand il travaillait encore. Ces mêmes discours se positionnent comme le gentil donateur qui fait la charité et qui est bien bon. Ils n’oublient jamais de souligner le besoin de soutenir les « plus fragiles », d’assurer donc l’assistance de ces « bras cassés ». Les auteurs de ces propos répétés à satiété expriment toujours le sentiment de bien faire pour ces Autres, pour ces êtres déjà écartés, en perte de l’humanité dont dispose le gentil donateur.

    Lorsqu’un ministre indique en public que « les civilisations ne se valent pas », qu’un président ajoute qu’il ne s’agit que d’une question de bon sens et qu’un ancien ministre renchérit qu’ « évidemment » elles ne se valent pas, faut-il encore une fois entendre une nouvelle définition du bien à travers une « civilisation » qui présenterait toutes les valeurs acceptables face à l’odieux barbare, c’est-à-dire l’étranger qui n’aurait pas atteint notre degré d’humanité ? Affirmer en toute bonne conscience son humanité en dévalorisant celle de l’autre serait le nouveau bien, le bon sens face à un « relativisme » qui serait gauchiste et prétendrait à un égal respect des cultures. Pour l’ancien ministre, entre grande littérature et sociétés sans écriture, il n’y aurait pas lieu de tergiverser et il faudrait accepter que tout individu puisse établir un degré différent de « civilisation » entre le Don Giovanni de Mozart et les « tambourins » des indiens Nambikwara. A noter d’ailleurs que les indiens Nambikwara  n’utilisent pas d’instruments à percussion selon l’étude de Claude Lévi-Strauss « La vie familiale et sociale des Indiens Nambikwara », Journal de la Société des Américanistes. Tome 37, 1948. pp. 1-132. Établir ces distinctions de cultures, de degrés de civilisation est déjà s’arroger le regard sur l’autre, le droit de le mésestimer, c’est le bon sens. Ce bons sens qui définit une nouvelle normalité, celle d’estimer sa culture supérieure à celle de l’autre, de considérer l’autre moins humain que soi-même. Ce bon sens permet de considérer l’anormalité comme normale et d’accepter l’inacceptable.

    Comme le souligne fort justement Alexandre Jardin dans son livre « Des gens très bien », « l’exceptionnel, dans le crime de masse, suppose le renfort de la normalité. Le pire exigea la mise en place de croyances patriotardes et sacrificielles sincères propres à dissoudre la culpabilité. La criminalité de masse reste par définition le fait d’hommes éminemment moraux. Pour tuer beaucoup et discriminer sans remords, il faut une éthique. » Il faut avoir le renfort d’une normalité affirmée dans le fait de considérer l’autre comme inférieur. Il faut que cette pensée pleine de bon sens s’enracine profondément et évidemment dans les esprits. Il faut que la chosification de l’Autre soit normalisée pour ne pas casser son équilibre moral. Il faut avoir foi dans sa plus grande humanité pour considérer en toute bonne foi que l’autre présente un moindre degré d’humanité. Pour justement continuer sans flancher dans cette morale du bon sens. C’est une éthique à fond renversé qui commence à s’établir ainsi.

    Alexandre Jardin ne rappelle pas dans son livre toutes les germinations de haine antisémite qui ont précédé la solution finale et l’acceptation en toute bonne conscience de cette solution comme un moindre mal… parce que tel n’est pas le propos de son livre. Mais restons toujours vigilants et refusons les germes d’une folie toujours possible qui serait proclamée comme du bon sens.

    Les discours sur ces vilains grecs tricheurs et feignants qui doivent donc assumer aujourd’hui les conséquences de leurs actes par des politiques de rigueur pullulent et permettent de ne pas interroger les origines exactes de la situation grecque, de l’écarter. Mais ces discours du bien ne permettent-ils pas de ranger les Grecs dans une autre humanité que nous ne voudrions pas pour nous-mêmes, donc de leur imposer en toute bonne conscience la misère et l’accroissement inexorable des inégalités, d’accepter qu’un peuple puisse vivre des poubelles alors même que nous prônions notre union dans l’Europe hier encore. Les pays du sud de l’Europe unie avant-hier sont devenus des « PIGS » dans le vocabulaire de certains journalistes. Transformer un peuple en cochon est-il admissible ? Est-ce que ce discours qualifié de la responsabilité et du moindre mal sent très bon ? Tout en se situant dans une autre histoire, le livre d’Alexandre Jardin renforce mes interrogations actuelles parce que les rouages peuvent se répéter à l’infini dans la mécanique de l’humain et de la déshumanisation en toute bonne conscience et avec le meilleur des « bon sens ».

    Les mots ont un sens. Et Alexandre Jardin rappelle ceux prononcés par son grand-père et qui lui ont pour la première fois de sa vie donné froid devant cet homme-là. Le Nain jaune était alors devant la fenêtre et parlait à sa maîtresse Zouzou en évoquant la « petite juive » qui avait mis le grappin sur l’un de ses fils. « Oh rien de bien méchant… de l’antisémitisme “convenable”, celui qui paraît acceptable et légitime entre soi, ce racisme bourgeois qui considère implicitement le Juif comme l’intrus des sociétés, des nations et des bonnes familles ». Les mots assignent. Les mots construisent les places respectables, les strapontins et les linceuls.

    Comme l’écrit Alexandre Jardin « quand on tolère l’idée que des êtres ne font pas partie d’une commune humanité, le processus du pire s’amorce. La chosification d’autrui permet tout. Cela commence par le SDF que l’on enjambe un soir d’hiver sur un trottoir et cela se termine à Auschwitz ».

    BBLR


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  • Je viens de finir un roman (voir Livres) qui me laisse un goût un peu amer en bouche. Cette amertume correspond à l’état d’esprit que l’on instille dans l’hexagone depuis plus de dix ans. Le livre, lui, s’intitule « Tout, tout de suite » et son auteur s’appelle Morgan Sportès.

    Exposé apparemment objectif de l’enlèvement, de la séquestration pendant vingt-quatre jours, de la torture et de l’assassinat d’Ilan Halimi, ce roman-enquête entend saisir au jour le jour l’effroyable histoire de ce qui a ensuite été appelé « le gang des barbares », ou plutôt un groupe composé de bric et de broc en banlieue parisienne. Le chef de ce groupe hétéroclite veut « tout, tout de suite ». Et pour cela il imagine un enlèvement improbable afin d’obtenir une rançon de la famille. Ce chef improvisé, dominant un groupe de « petits » de sa cité qu’il terrorise, tremblant devant les « grands » du 93 venus lui apporter un soutien, se révèle un piètre stratège affolé et un individu dangereux. Persuadé que tous les juifs sont riches et que s’ils ne le sont pas, ils constituent une communauté soudée qui s’entraidera pour payer la rançon, ce piteux chef emmène son groupe soudé par la peur dans sa démence. Chosifiant l’« Autre », celui auquel ont été enlevés les vêtements et dont le visage a été emmailloté, ils le déshumanisent jusqu’à le tuer.

    Certes, Morgan Sportès nous permet de suivre pas à pas le parcours de ces jeunes pris dans un engrenage de folie. Il nous fait saisir à travers les trajets et les dialogues de chacun des protagonistes la bêtise et l’inconscience des actes, tout autant que la lâcheté des adultes qui se taisent lorsqu’ils savent. Morgan Sportès a souhaité décrire seulement.

    Mais peut-on écrire sans poser son propre regard sur cette histoire ? Morgan Sportès porte des jugements incessants sur les personnes de ce groupe et la société qui conduisent à indisposer le lecteur. Lorsqu’il relate l’histoire du chef du groupe, il ne peut s’empêcher d’y ajouter une vision déterministe. « Ses parents se contentent de leur sort, pas Yacef ». A partir des propos de Yacef, il réinvente sa pensée même. Ainsi lorsque Yacef dit « ça fout la haine de voir sa mère torcher les chiottes », Morgan Sportès en déduit que « le sort des siens lui fait « honte » ». De même que ce Yacef ne semble pas avoir « le sens des limites » (selon les termes de Sportès) lorsqu’il a déclaré « Mieux vaut mourir comme un lion que de vivre comme un chien ». Mais si le chef du groupe présente une nette tendance à la domination, à la manipulation et à l’insensibilité par ses actes, les propos rapportés par Morgan Sportès témoignent-ils d’une absence de sens des limites ou d’une volonté de sortir du carcan social ? Le regard porté ici, juste à ce niveau-là, par Morgan Sportès est celui d’un censeur gardien de l’ordre social qu’il est convenable de ne pas vouloir changer ni perturber.

    Ce déterminisme commence même à envahir les pages. Et certaines descriptions présentées comme purement objectives commencent à faire monter notre pression sensorielle du côté énervement. Ainsi lorsque Morgan Sportès écrit comme si de rien n’était : « A Bagneux, quelques heures plus tard, Yacef retrouve Mam’ dans un hall de la cité du Cerisier, face au terrain de basket où s’ébattent une dizaine de gamins, garçons, filles, renois, noichs et patos : futurs cailleras peut-être ? Petits Yacefs en herbe ? »

    Morgan Sportès se croit obligé d’emprunter un vocabulaire qui ne lui appartient pas en l’utilisant avec sa propre pensée. Surtout il pose un regard qui enferme et limite toute une cité au parcours d’un individu et d’un groupe halluciné. Et l’esquisse ratée d’une banlieue parisienne en trois coups de fusain assassine tous ses habitants dans le langage de domination qui fleurit aujourd’hui : « Bagneux (…) Depuis les années trente, et surtout à partir des années soixante, des cités aux immeubles d’une quinzaine d’étages, en mauvais matériaux ont proliféré, s’encastrant dans les zones résidentielles. C’est là que s’entassent les “pauvres” dont parle Mam’. Aux fenêtres, du linge qui sèche, des antennes paraboliques permettant de capter Al-Jazira. Certains appartements de deux pièces sont occupés par dix personnes, avant tout des immigrés, et quelques Gaulois : des casoces (cas sociaux). Quart-monde et tiers monde se mêlent. Le chômage, surtout chez les jeunes, y est bien plus élevé qu’ailleurs. Quelques-uns vivent d’allocations diverses, d’autres de trafic : essence siphonnée dans les réservoirs, pièces détachées de voitures volées désossées, cigarettes en contrebande, shit. On touche le RMI et on travaille au noir. La mairie, depuis le Front populaire, est communiste. » Mais ces peintures au couteau peu affuté insupportent non seulement le lecteur mais aussi le citoyen car elles semblent utiliser une histoire sordide pour lui faire dire autre chose. Morgan Sportès présente son analyse politique des banlieues à travers cette histoire. Il nous assène par exemple que la principale cause des émeutes de 2005 aurait été la menace portée pour « l’équilibre économique des banlieues » du fait de la « razzia implacable exercée par la police contre le bizness du cannabis ? » Plus loin encore Morgan Sportès nous impose son analyse sur le CPE à propos de deux personnages du groupe, sans que le lien soit bien évident. Surtout l’auteur semble vouloir nous montrer que la barbarie se situe bien là, au fond de ces banlieues. Morgan Sportès semble nous montrer l’Autre, le vrai barbare, qui serait si éloigné de nous, sans vocabulaire, sans compréhension ni culture suffisante pour saisir le monde. Mais le Barbare ne s’est jamais limité dans ces zones-là, et le plus grand barbare peut avoir une culture suffisante et même très raffinée pour organiser une solution finale. En pointant ainsi notre barbare moderne, Morgan Sportès englobe un groupe, le pointe et lui fait perdre son appartenance au groupe humain. Il le chosifie tout autant que le chef du « gang des barbares » a imanigé l’« Autre ». Il n’apporte donc rien. Sauf une analyse politique conservatrice plaquée sur une histoire sordide. Morgan Sportès aurait mieux fait d’écrire un essai, les choses auraient été plus claires.

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  • Ce matin j’écoute la radio. Un chroniqueur raconte le parcours d’un militaire américain, un Texan élevé à la dure par son père, formé pour devenir un soldat. Il était frappé dans son enfance lorsqu’il commettait des bêtises. Il le revendique. Il estime que ça l’a bien éduqué. Il est loin d’être le seul. Je connais aussi un homme qui clamait que sa mère l’avait bien dressé en le frappant. Il le revendiquait lui aussi, surtout après avoir frappé ses enfants. J’ai encore entendu ces propos ailleurs, ici et là, y compris dans des bouches qui refusaient la violence faite aux enfants. Ainsi s’exclamait-on, « elle l’a élevé à la dure » ou « elle n’était pas tendre c’est sûr, mais en même temps, cela a évité qu’il tourne mal… ».

    Mais ce Texan élevé à la dure a en outre été le sniper américain tant redouté des rebelles pendant la guerre d’Irak. Il raconte avoir tué la première fois une femme « à l’esprit retors » qui se trouvait à plusieurs mètres de lui. Ce sont ses termes. Et il affirme ensuite l’avoir haï et la haïr encore aujourd’hui. Puis il raconte avoir « dégommé » à la file les individus présents, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus personne dans le viseur. A l’entendre, on l’imaginerait dans un jeu vidéo. Il a tué et il le revendique comme un acte patriotique. Il a ainsi « sauvé des vies américaines ». Il a tué préventivement. Raisonnement de légitimation face à une légitimité contestée. Mais comment pourrait-il vivre autrement qu’en s’accordant ce raisonnement de légitimation décalé sur des actes de tuerie ? Et la construction de ce raisonnement suffit-elle pour vivre ? Son raisonnement parvient-il à un accord au-delà de l’affirmation extérieure, avec sa pensée et son regard internes ?

    On peut en douter quand on sait que ce soldat a été rapatrié en urgence, marqué par des troubles obsessionnels, ne parvenant pas à dormir, enfermé dans des peurs paniques. On peut encore en douter lorsque sa femme raconte qu’il se réveille, plusieurs années après, en sueur, et qu’il a failli un jour lui casser le coude dans son sommeil. Mais l’homme au raisonnement construit ne veut pas entendre parler de troubles. L’homme ne veut pas écouter ce qu’il ressent, ce qui pourrait dire une faiblesse dans son langage ou un décalage avec lui-même dans un autre langage. Son éducation et son raisonnement ont écarté toute idée de vie interne. Il ne peut être que le soldat en service, le bon soldat fidèle à sa patrie, celui des films américains. Il ne peut être que le fils de son père.

    Cette question de l’intégrité avec soi-même me taraude depuis quelques temps. Elle prend un éclairage particulier avec cette histoire tragique du soldat américain. Je repensais au livre de Mario Vargas Llosa « Le rêve du celte » sur les massacres commis par les agents européens de la force publique et leurs auxiliaires africains dans l’État indépendant du Congo. Le Congo était la perle du roi des Belges. Le Congo était cet immense territoire que Léopold II s’était fait reconnaître lors du Congrès de Berlin de 1885. Le Congo belge était placé sous la coupe des compagnies concessionnaires. Il était en coupe réglée. Les structures commerciales exploitaient le caoutchouc dans des conditions effroyables. Cette situation honteuse est dénoncée au début du XXe siècle. Et notamment par Roger Casement, le consul anglais, le Celte dont Vargas Llosa a fait le personnage principal de son roman. Les compagnies privées exigeaient des villages africains une quantité de caoutchouc, sans compter la nourriture destinée aux agents de la force publique. Les quotas toujours plus élevés en caoutchouc épuisaient les forêts. Elles obligeaient les villageois africains à s’enfoncer toujours plus loin. Elles faisaient saigner les arbres et les hommes. L’exploitation du caoutchouc était placée sous le régime de la chicotte et de la mutilation. Et le responsable de la force publique qui encadre ces exactions, le capitaine Massard, est interrogé par le consul Roger Casement lors de son enquête de terrain en 1903. Au cours d’un entretien très alcoolisé, ce même capitaine Massard se désole de la situation tout en la justifiant. Selon lui, la faute des massacres et des mutilations incombe à la sauvagerie des auxiliaires africains. Et le capitaine de raconter que ces auxiliaires africains détournaient à leur profit, pour tuer singes ou serpents, les cartouches distribuées pour garantir l’« ordre public ». Le commandement avait alors été donné que les auxiliaires ramènent le doigt ou le sexe de celui à qui était destinée la cartouche afin de justifier de cet emploi. Selon le même capitaine, les auxiliaires africains continuant à utiliser les cartouches à leur profit mutilaient alors des personnes dans les villages pour prouver le bon usage des cartouches… Le capitaine Massard construit un discours de légitimation de ses propres ordres et actes de barbarie dont il semble étrangement extérieur. La barbarie est rejetée sur ceux qu’elle touche, les auxiliaires tout autant que les villageois, avant que le discours ne parte du côté des femmes africaines et de leurs dents trop limées pour certaines pratiques sexuelles... La barbarie de ce capitaine européen est renvoyée vers ceux et celles qui en sont les victimes. La haine affleure avant d’exploser dans ce raisonnement comme dans celui du militaire américain. Le dédoublement personnel entre raisonnement et regard sur soi-même semble inéluctable. Cette impossibilité de se voir et de se reconnaître soi-même est reportée sur l’extérieur, sur celui ou celle qui est à l’origine de sa propre barbarie, à l’origine de son dédoublement, sur la victime. Elle est haïe non pour elle-même mais pour ce qu’elle révèle de cette cassure intérieure. Corruption du raisonnement tout autant que corruption interne ou corruption morale selon les termes de Mario Vargas Llosa.

    Cette question de l’intégrité envers soi-même atteint ici le paroxysme mais on pourrait se la poser à un moindre niveau, dans notre vie quotidienne actuelle.

    BBLR


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  • 18 heures.

    « Cachez la femme », une émission d’Interceptions sur France Inter…

    L’émission porte sur les juifs hassidim du quartier Mea Shearim de Jérusalem qui veulent imposer les règles de la Torah et la ségrégation entre les femmes et les hommes dans la société israélienne.

    Une femme entre dans un bus. Elle est orthodoxe. Vêtue d’une robe longue et d’un pull à manches également longues, elle s’assoit à l’avant du bus, juste derrière le chauffeur.

    Un homme lui dit qu’elle devrait plutôt se mettre à l’arrière, qu’elle risque d’avoir des problèmes parce que c’est pour les hommes à l’avant tandis que les femmes doivent aller au fond….

    Elle lui répond qu’elle ne dérange personne et que rien n’indique que les places sont réservées dans le bus.

    Puis elle se rend compte par la suite que cette mise en garde avait été faite avec beaucoup de gentillesse, pour la protéger, lorsqu’ensuite vient un groupe d’homme ultra-orthodoxes qui l’admonestent pour qu’elle aille à l’arrière, qui l’insultent et la menacent en l’entourant. Elle a peur, elle sent la violence la toucher. Mais elle refuse de changer de place. Elle dit au journaliste de la radio que si elle avait obtempéré à ce moment-là, si elle avait cédé à la peur et aux menaces en allant à l’arrière, elle se serait perdue. Elle aurait à ses yeux abandonnée toutes ses valeurs, tout ce pour lequel elle se battait depuis toujours. Cette femme associait sa manière d’agir au combat de Rosa Park aux Etats-Unis contre la ségrégation.

    Sa voix dans la radio était calme mais elle rappelait aussi que la menace verbale du groupe d’hommes ultra-orthodoxes était sur le point de se transformer en menace physique et que cet affrontement a duré plus d’une heure. Sa voix renvoyait à la peur qu’elle a eu un instant d’être lynchée…

    Une autre femme est interrogée. Elle est présidente des parents d’élèves dans une école de filles installée récemment à côté d’un immeuble ultra-orthodoxe. Elle raconte que l’école s’est installée ici faute de place ailleurs… l’école est religieuse et les filles sont habillées « modestement », c’est-à-dire qu’à l’exception de leur visage, leur corps ne laisse apparaître aucun carré de chair ni de coquetterie…

    Dès que l’école a ouvert, les ultra-orthodoxes venaient à l’ouverture insulter les gamines. Ils priaient devant l’école et parfois jetaient des pierres… mais contre qui prient ces religieux ? Contre des enfants qui sont nées avec un sexe féminin ? Quel est le sens de leur prière ? Quelles sont leurs peurs à l’égard de leur propre sexe ?

    Le journaliste radio avance dans la rue. Les bruits, on entend un enfant crier à tue-tête une phrase en hébreu. Il la crie, la répète. Le journaliste demande à son accompagnant ce qu’elle veut dire. L’homme du quartier répond qu’il s’agit d’une école ultra-orthodoxe et que l’enfant crie : « Revis seigneur » ou quelque chose comme cela. L’homme raconte qu’auparavant le quartier (nom d’un quartier autre que Mea Shearim, le nom ressemble à Maravi) était il y a environ 12 ans un quartier laïc, plutôt libéral et de gauche. Mais depuis de nombreux ultra-orthodoxes se sont installés. Ils ont procédé comme pour créer une colonie en arrivant massivement et en imposant ainsi progressivement leur loi à la communauté préexistante.

    A la question du journaliste au grand Rabbin Kahn : « je me fais l’avocat du diable, mais comme le disait Hillary Clinton, craignez-vous qu’Israël devienne l’Iran, c’est-à-dire une théocratie appliquant et imposant la loi religieuse à la société civile ? », la réponse du grand Rabbin Kahn avait été : « Non ! Mme Clinton ne comprend rien : Israël n’est pas l’Iran… » Pour lui, les Juifs se sont vus imposer depuis 2 000 ans des lois étrangères. Dans son esprit, Israël, après avoir vécu sous les lois britanniques, françaises vit toujours et encore sous une législation étrangère, comme une colonie sous impérialisme étranger… Pour lui, il est temps que les Israéliens renouent avec leur loi ancienne, la loi de la Torah qui est leur seule vraie loi… Non, il ne s’agit pas d’une Théocratie imposée dans son esprit mais d’un juste retour à la nature originelle de l’État d’Israël !

    Israël devrait s’occuper de discuter, de régler les questions avec ses murs érigés, avec ceux qu’elles pensent laisser derrière, avec les Palestiniens. Mais elle est attaquée en interne, enfin elle est minée par ces extrêmes religieux auxquels les hommes politiques ont laissé la porte ouverte depuis plus de 20 ans, en acceptant la création de colonies religieuses, en acceptant de négocier avec les religieux sur la séparation entre les hommes et les femmes, en acceptant de négocier sur ses valeurs fondamentales.

    Les responsables politiques semblent être allés au fond du bus en laissant les ultras prendre les commandes…

    Un peu comme nous, dans un ordre non religieux, avec les ultra libéraux qui sont au volant de notre bus depuis plus de 20 ans, au risque de nous plonger dans la folie…

    Il est temps de reprendre les commandes sur ce que nous voulons de notre bus, de notre vie, où que nous soyons…

    BBLR


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  • 18 heures. Il fait nuit. Je vais chercher le pain à pied. Une montée un peu raide, une petite-demi heure de marche aller-retour. Les flots de voitures descendent, montent. C’est fonction de l’alternance des feux. Je ne vois que les phares. Mais je sens les échappements. Sur le trottoir, deux adolescents à l’aller, une femme promenant son chien au retour. Ce n’est vraiment pas à pied qu’on peut rencontrer le plus de gens.

    Un espace sépare la ville nouvelle et le village. Il semble infranchissable.

    Un grand immeuble est en construction en montant vers la place du cœur cognant, dans le nouveau centre ville de Morale. Plus de 200 habitations si je me souviens bien, plusieurs étages, un centre commercial… Là-bas, ça ne gêne personne. Ou personne ne le dit.

    Environ 30 ou 40 petites résidences sont prévues près du cimetière, en bas dans le village. Mais le cœur bat différemment rue de Sainte-Gueule d’Amour. Ici, il devient inadmissible de construire. Des bannières ont fleuri sur les portails, aux murs des jolies maisons. L’une d’entre elle proclame : « On construit la ville sur la ville et non sur le village » (quelque chose comme ça, il faudrait que je vérifie). Le voisin a ajouté qu’il ne s’agissait pas de « NIMBY, not in my backyard ». Ah, bon ?

    Même la matière et le support employés pour s’exprimer diffèrent entre le haut et le bas. En bas, les slogans sont joliment dessinés sur des draps ou des cartons décorés. Des couleurs, des explications, des photos. On lit les panneaux comme un long poème. Un brin de créativité, et même d’humour… Les mots sont légers. Les maux sont-ils si lourds qu’annoncés ? Ici on s’oppose, on résiste dans la joie. On fait des dimanche matin crêpes, des soirées apéritives auprès des arbres en danger. On fait du lieu une aire de jeux pour les enfants, 100% naturelle.

    En haut, les arbres ont déjà été coupés. Pas de slogans colorés, pas de draps joliment dessinés. Juste une grande palissade grise autour. Un seul panneau : « chantier », avec le montant de l’opération et sa durée. Là-bas on accepte, on fait avec.

    La pente sépare. La forêt répartit les places. Le bas s’exile. Serait-il l’unique détenteur du droit à la nature ? Il faut construire la ville sur la ville, là-haut, et laisser le bas se claquemurer derrière ses murs de verts.

    BBLR


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  • En revenant du centre commercial aujourd’hui, en voiture. Lucas est allé chez le coiffeur, il est 17h. Une publicité à la radio sur les mœurs de la grenouille puis sur ceux de LA femme… la consommatrice de chaussures, l’acharnée des soldes qui se tenait jusque là tapie au fond de son trou. Ça y est, le top est donné. Elle se précipite, LA femme, sur les chaussures Samemanquaitrop, avec le léger nom italien si sexy. Un parallèle plus que douteux entre la grenouille coassante et la femme agaçante. Et la grenouille sautillant de produit en produit, la consommatrice compulsive. La névrosée de l’achat. Et enfin le mot de la fin, une petite voix un peu éraillée : « - jé trouve cette publicité VRAIMENT désobligeante pour… les grenouilles »… avec le clin d’œil lourdingue à la chienne de garde qui n’a aucun sens de l’humour puisqu’elle ne rit pas à la blague… Waouwahhhh ! Épatant de novation ces publicitaires. À quand la publicité qui présente les mœurs de l’aï ou paresseux (l’animal bien sûr) et DU Corse qui ne bougerait que pour aller acheter un transat ? Et elle finirait par une grosse voix bien marquée : « Je trouve cette publicité VRAIMENT désobligeante pour… les paresseux ». Vous ne trouvez pas ça marrant ? Vous n’avez aucun sens de l’humour ou quoi ?

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  • Ce soir j’entends Claude L. invité par l’onctueux Busnel pour son grand entretien. Claude L., sûr de lui. Claude L. qui exhibe ses plaies :

    - La souffrance des autres ne me permet pas de créer, déclame le romantique Claude L., seule la douleur subie dans ma chair me permet de réaliser, d’agir. 

    Les propos ne sont pas exactement rapportés, mais l’idée est là. Claude L. étale ses souffrances. Mais il n’est pas dans le larmoiement. Car il s’empresse d’ajouter qu’il est avant tout un homme d’action. Et l’essentiel est d’agir, selon la mythologie présidentielle déployée depuis 2007.

    Qu’importe le sens !

    Le souffreteux Claude L. qui nous impose depuis 50 ans les vicissitudes de sa quotidienneté la plus insignifiante finit par cette phrase :

    - Avant les hommes pleuraient, maintenant ils pleurnichent. Avant les gens riaient, maintenant ils ricanent.

    L’enfant gâté du cinéma français qui n’a connu après son premier succès qu’un long fleuve tranquille de films le plus souvent acclamés. Cet enfant gâté crache à la gueule d’une grande partie de la population « pleurnicheuse ».

    Pleurnicheurs les SDF ! Pleurnicheurs les ouvriers licenciés d’industries délocalisés ! Pleurnicheurs les femmes et leurs enfants qui vont aux Restos du cœur pour pouvoir manger au 15 du mois ! Pleurnicheurs les vieux dans les maisons de retraite, oubliés de tous ! Pleurnicheurs les Chibanis auxquels on supprime la pension de retraite sous prétexte qu’ils ont passé trop de temps dans leur pays d’origine où ils ne pouvaient jamais se rendre parce qu’ils passaient l’essentiel de leur vie derrière un marteau-piqueur !

    J’ai honte pour Claude L. qui ne sait apparemment que disserter sur ses pansements et son mercurochrome. J’ai honte pour Claude L. qui ne sait pas voir la misère autour de lui, ni le SDF dans le métro. Sûrement un pleurnicheur lui aussi. M. Claude L., voyez-vous l’homme agenouillé dans le métro, un panneau devant lui où est inscrit : « une pièce pour manger, SVP » ? Pourquoi ne lui faites-vous pas un bisou ? Vous pourriez alors lui dire au pleurnicheur : « ça y est, fini le bobo ! Guéri ! »

    BBLR

     


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