• Enfance - Nathalie Sarraute - Gallimard, Folio (1983)

    Enfance - Nathalie Sarraute - Gallimard, Folio (1983)Parvenir en quelques lignes à nous faire respirer les odeurs du désinfectant et de l’encrier de son école, à nous faire sentir sur les joues la neige de la Russie éclatante de ses souvenirs. Nathalie Sarraute remonte le cours du temps pour saisir dans un dialogue sans complaisance avec elle-même toutes les émotions et les sensations de son enfance. Au sommet de son art, elle livre sans fard les mots les plus vivants sur son apprentissage de l’indépendance. Pas à pas, souvenir après souvenir, Nathalie ou Natacha, nous mène jusqu’au seuil du lycée. Elle nous rappelle ce qu’était l’école de la IIIe  République à ses yeux. Cette école du mérite l’élève, la juge en toute objectivité, en fonction d’un seuil de connaissances à digérer. Elle la délivre des souffrances entre des parents séparés, depuis le déchirement avec sa mère restée dans la Russie blanche jusqu’à son ancrage dans le Paris gris, près du parc Montsouris auprès de son père complice et d’une belle-mère insensible et vitupérante… Un roman ? Non, une œuvre écrite au rythme des souvenirs d’une petite fille, un examen minutieux sur les traces de son enfance jusqu’à son ouverture à la vie, jusqu’au détachement des maux familiaux avec des mots inoubliables. Peut-être le mieux est-il de laisser Nathalie Sarraute nous raconter un de ses souvenirs d’école…

    Extraits, p. 165-168

    « La vague odeur de désinfectant, les escaliers de ciment, les salles de classe entourant une cour sans arbres, les hauts murs d’un beige souillé, sans aucun autre ornement que le tableau noir au fond de l’estrade et une terne carte des départements, tout cela dégageait quelque chose qui me donnait dès l’entrée le sentiment, le pressentiment d’une vie…

    − Plus intense ?

    − « Plus » ne convient pas. « Autre » serait mieux. Une autre vie. Aucune comparaison entre ma vie restée là-bas, dehors, et cette vie toute neuve… Mais comment, par où la saisir pour la faire tant soit peu revenir, cette nouvelle vie, ma vraie vie…

    − Fais attention, tu vas te laisser aller à l’emphase…

    − Bon, essayons simplement d’isoler d’abord un de ses instants… en lui seul… permets-moi de le dire… en lui tant de plaisirs se bousculent.(…)

    La maîtresse nous prend nos copies. Elle va les examiner, indiquer les fautes à l’encre rouge dans les marges, puis les compter et mettre une note. Rien ne peut égaler la justesse de ce signe qu’elle va inscrire sous mon nom. Il est la justice même, il est l’équité. Lui seul fait apparaître cette race d’approbation sur le visage de la maîtresse quand elle me regarde. Je ne suis rien d’autre que ce que j’ai écrit. Rien que je ne connaisse pas, qu’on projette sur moi, qu’on jette en moi à mon insu comme on le fait constamment là-bas, au-dehors, dans mon autre vie… je suis complètement à l’abri des caprices, des fantaisies, des remuements obscurs, inquiétants, soudain provoqués (…) Ici je suis en sécurité.

    Des lois que tous doivent respecter me protègent. Tout ce qui m’arrive ici ne peut dépendre que de moi. C’est moi qui en suis responsable. »

    BBLR


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