• La fortune de Sila - Fabrice Humbert - Le passage (2010), Le livre de poche (2012)

    La fortune de Sila - Fabrice Humbert - Le passage (2010), Le livre de poche (2012)Nous sommes dans les années 1990, peu de temps après l’effondrement de l’empire soviétique. Dans ces années fric, la finance et les « affaires » internationales aspirent les hommes. Et dans un grand restaurant parisien, un serveur africain est violemment frappé par un riche client américain. Personne ne réagit. Ni le couple russe qui se disloque comme le bloc de l’est, ni la femme de cet américain violent, ni les deux jeunes traders aux aspirations opposées. Au centre de ce fait divers oublié des médias, le jeune serveur, Sila, qui a fui son pays en ruines, incarne le craquellement des idéaux et des faux-semblants de ces destins croisés, jusqu’à leur basculement après la crise financière de 2008.

    Mené sur un rythme haletant, le récit de Sila et de ces vies mêlées traduit le désenchantement contemporain. Le monde du règne individualiste où ceux « sans désir propre » adoptent le désir socialement ordonné. Celui de l’ironie comme première étape d’abandon de ses espoirs, à l’image de Lev, professeur opposant à la dictature communiste qui se laisse dériver vers la corruption des nouveaux oligarques russes :

    « Dans la vie, le problème, c’est de se réinventer. De devenir un autre être. D’autant que lorsqu’on cherche à se réinventer, le vrai travail se produit, celui de la perpétuation, la puissante force qui pousse à être toujours soi-même, de sorte que les métamorphoses se nouent et se dénouent pour arriver au terrible constat : nous sommes toujours nous-mêmes mais plus profondément. Et il est bien possible que le fantôme de Lev n’ait été qu’une illusion, l’oligarque perçant déjà sous le professeur. La causticité, l’ironie comme première mouture du désenchantement, avant le cynisme, l’amertume et la cruauté. La longue chaîne de la dégradation ».

    Fabrice Humbert traduit bien ce monde du paraître, des « perdants » et des « gagnants », de « gens rapides ne discutant que de stupidités ». Un monde où les mots n’ont plus le même sens pour les uns et pour les autres, ceux recouvrant des réalités auxquelles on croit, même à tort, et ceux qui sont des armes, destinés à convaincre et obtenir. Un monde où les mots ne correspondent plus aux choses, qu’il s’agisse de la dictature communiste ou de l’oligarchie libérale. En effet, lorsque les termes de « démocraties populaires » servent à nommer des dictatures, lorsque l’invocation permanente au « nous » et au « peuple » recouvre les intérêts de quelques-uns dans le monde communiste finissant, ne sommes-nous pas en droit de nous poser les mêmes questions à propos du vocabulaire employé dans nos « démocraties libérales », dirigées par un capitalisme débridé ?

    Ce roman captivant qui souhaiterait embrasser notre société mondialisée demeure à sa superficie. Il laisse un sentiment d’inachevé et de fatalisme. Les résistances qui se dressent sont ignorées dans ce récit où les hommes et les femmes se soumettent finalement et capitulent face à des forces qui semblent les dépasser.

    BBLR

    La fortune de Sila - Fabrice Humbert - Le passage (2010), Le livre de poche (2012)


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :