• La parabole du « fisc » prodigue - Janvier 2012

    Par Bénédicte BRUNET-LA RUCHE

    Quels ont été les choix du président élu en 2007 sur l’idée du changement, de la réforme et de « la France qui se lève tôt » ?

    La France qui se lève tôt dans l’esprit de Nicolas Sarkozy est constituée par les chefs d’entreprise. Mais pas n’importe quelle entreprise ! Plutôt la multinationale que la petite et moyenne. Le président nouvellement élu s’est en effet évertué dès son arrivée au pouvoir d’opérer une redistribution fiscale au profit des foyers présentés comme les plus agressés, ceux vivant dans la plus grande insécurité fiscale, à savoir les plus riches (1. la baisse des recettes fiscales au bénéfice des plus riches).

    C’est ce que soulignent notamment Michel et Monique Pinçon-Charlot qui ont collecté les informations à travers Le Monde et Le Canard enchaîné depuis 2007, mais également plusieurs rapports de la cour des comptes et du conseil des prélèvements obligatoires. C’est un constat largement établi mais qui n’a pas été réellement remis en cause, y compris à l’heure de la crise de la dette publique.

    Non seulement le gouvernement Fillon et la majorité parlementaire de droite ont délibérément choisi de réduire les contributions fiscales des plus riches, mais ils ont parallèlement accru les impositions des classes moins favorisées et ont même modifié le sens de la protection sociale et de la contribution publique et fiscale en ne cessant de transformer des revenus de remplacement, des indemnités maladie ou de travail, en revenus (2. la hausse des contributions fiscales des classes moyennes et plus défavorisées).

    Parallèlement les dépenses publiques se sont accrues, mais il est nécessaire de savoir au bénéfice de qui, y compris au moment de la crise économique, avec les prêts accordés aux banques et le programme de relance qu’il convient d’interroger. Quelles ont été les autres dépenses ? Nous irons consulter les rapports de la cour des comptes pour avoir une vision d’ensemble sur cette question (la hausse des dépenses : crise économique, prêts bancaires, plan de relance… : des dépenses pour qui ?... à voir).

    Cela nous permettra donc ensuite de faire un point sur la dette publique, son niveau depuis 20 ans et son évolution depuis 2007, et analyser les réponses apportées jusqu’à présent pour y faire face.

    Nous nous intéresserons enfin à la notion de redistribution économique et fiscale dans notre société en nous interrogeant sur le respect actuellement de l’article 13 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui dispose que « Pour l’entretien de la force publique et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable ; elle doit être également répartie entre tous les citoyens à raison de leurs facultés ».

    1er point : la baisse des recettes fiscales au bénéfice des plus riches

    Le rapport de l’OCDE de 2008 indiquait qu’entre 1985 et 2005 la France figurait parmi les pays où les écarts de revenus avaient le plus diminué, avec la Grèce, l’Irlande et l’Espagne alors que ces écarts avaient augmenté dans les trois-quarts des pays membres notamment aux États-Unis, en Italie ou en Allemagne. Selon ce rapport, les écarts de revenus disponibles auraient commencé à croître aux Etats-Unis dans les années 1970, puis au Royaume-Uni et dans les pays nordiques [1]. La croissance des écarts est essentiellement liée à une forte hausse des plus hauts revenus, que ne parvient pas à suivre celle des revenus plus faibles. Sur ce point, la France semblait donc faire figure d’exception jusqu’à la fin des années 1990.

    Mais dans un rapport d’avril 2011, l’Insee sur « Les revenus et le patrimoine des ménages » souligne que si les inégalités de niveau de vie avaient peu évolué entre 1996 et 2008, la stabilité du rapport interdécile (D9/D1) ne donne pas d’indications sur l’évolution des revenus situés en dessous du premier décile et au-dessus du dernier décile. Elle ne peut donc rendre compte de la croissance des inégalités par le haut.

    Or si on prend en compte les statistiques fiscales, le revenu moyen des foyers fiscaux est passé de 22 481 euros à 25 347 euros, soit une croissance de 12,7% entre 1998 et 2006, mais avec une très forte inégalité  selon les groupes : « Alors que pour 90% des foyers, le gain total de revenu réel a été 12,4%, il a été de + 26,9% (soit + 3% par an en moyenne) pour les 1% les plus aisés et de 43,3% (+ 4,6% par an) pour les 0,1% les plus aisés. Tout en haut de la distribution, le revenu moyen des 0,01% des foyers fiscaux les plus aisés a crû de 63,7% (+ 6,3% par an) » [2]. L’étude de l’Insee de 2010 sur les « revenus et patrimoines des ménages » confirme la poursuite de cette tendance en 2010

    Graphique : Évolution du revenu réel moyen par fractile de revenu, base 100 en 1998

    La parabole du « fisc » prodigue - Janvier 2012 Source : Landais (2008), [2]

    Alors que la part du revenu des 1% les plus aisés augmente dans le revenu total, en lien avec la croissance des revenus du patrimoine et du capital [3], le président de la République nouvellement élu en 2007 a décidé de restreindre leur participation à la redistribution fiscale et de leur accorder des cadeaux au détriment du budget national.

    En effet dès l’été 2007, une loi appelée « sur le travail, l’emploi et le pouvoir d’achat » introduit :

    1° un bouclier fiscal destiné à protéger les hauts revenus, le président estimant qu’il n’est pas possible de demander à un contribuable de donner à l’État plus de la moitié de ses revenus, et à éviter leur fuite,

    2° un ensemble de niches fiscales, qui vont à l’encontre du principe de l’égalité fiscale et de la redistribution,

    3° une baisse de la fiscalité sur les successions et les donations qui profite majoritairement aux plus riches.

    Avec le bouclier fiscal, le plafond de l’impôt sur le revenu est abaissé de 60 à 50% de l’ensemble des revenus, mais sans compter ceux qui ont pu être déjà limités par leur placement dans des niches fiscales ou dans des paradis fiscaux. Le taux réel d’imposition n’atteint donc pas 50% pour les plus fortunés puisqu’une partie des revenus échappe à la déclaration fiscale. Ainsi les 352 ménages les plus riches de France se sont vus appliquer un taux moyen d’imposition de seulement 15% selon le Conseil des prélèvements obligatoires [4]. Par ailleurs, toutes les impositions, les taxes (taxes foncière et d’habitation) mais aussi, et c’est une nouveauté de la loi TEPA, les contributions sociales (cotisations pour les fonds de retraite par capitalisation, CSG, contribution sociale généralisée, et CRDS, contribution au remboursement de la dette sociale) sont prises en compte dans le calcul du bouclier fiscal. Par conséquent, alors que les ménages non imposables sont prélevés à la source pour la CSG et la CRDS, sur leur salaire, ces deux contributions contribuent pour les ménages les plus élevés à l’activation du bouclier fiscal [5]. Au moment même de la crise économique, le 8 octobre 2008, la majorité parlementaire a inclus dans le calcul du bouclier fiscal la taxe de 1,1% sur les revenus des placements d’épargne qui sert à financer le revenu de solidarité active (RSA) [6]. Les plus riches se voient donc exemptés de ce prélèvement, ainsi que de toute nouvelle imposition qui se trouve à la charge des ménages disposant de revenus inférieurs.

    Ce sont 591 millions d’euros qui ont été restitués aux bénéficiaires du bouclier fiscal le 28 février 2011 sur leurs déclarations fiscales de 2009. Parmi ces bénéficiaires, 47% sont assujettis à l’ISF et se sont partagés 99% de l’enveloppe redistribuée, ce qui souligne encore une fois le lien entre les plus fortes richesses et les bénéficiaires de la redistribution fiscales, dans une version inversée de la notion de redistribution [7]. Cette réforme va à l’encontre même de la notion de répartition de la charge fiscale entre tous les citoyens à raison de leurs facultés.

    Face à la contestation sur le maintien de ce bouclier fiscal en pleine crise financière et économique, il était décidé au printemps 2011 de supprimer ce bouclier fiscal, mais en allégeant parallèlement l’impôt sur la fortune (ISF). L’imposition de la tranche la plus élevée de l’impôt sur le revenu est portée de 40 à 41% sans activer le bouclier fiscal en 2011 (+ 230 millions d’euros), là où la tranche supérieure de l’impôt est à 45% en Allemagne et 50% au Royaume-Uni [8].

    2ème point : la hausse des contributions fiscales des classes moyennes et plus

    Bien que le président de la République ait affirmé qu'au-delà du rabotage sur les niches fiscales, il refusait « absolument la perspective d'une augmentation générale des impôts » (discours au Conseil économique, social et environnemental le 14 janvier 2011) qui tuerait la compétitivité [9], le gouvernement a pourtant réussi à faire voter 23 nouvelles taxes en cinq ans [10], certaines constituant certes la suppression d’une niche mais d’autres créant bien ex nihilo de nouvelles contributions qui n’ont jamais été envisagées dans une perspective de progressivité et portent donc sur les classes moyennes et moins favorisées.

    Alors même que le candidat Sarkozy s’engageait à réduire le niveau des prélèvements de cette fameuse « France qui travaille », le taux de prélèvements obligatoires entre 2007 et 2012 est passé de 43,6% à 44,5% du PIB (données OCDE), contre 40,5% en 2000 [11].


    (1)
     OCDE, « Growing Inequal », 2008, cité par Conseil des prélèvements obligatoires Prélèvements obligatoires sur les ménages : progressivité et effets redistributifs - mai 2011, http://www.ccomptes.fr/fr/CPO/Accueil.html, p. 19-20.
    (2) C. Landais, « Les hauts revenus en France (1998-2006) : une explosion des inégalités ? », 2008, cité par Conseil des prélèvements obligatoires, ibid., p. 20.
    (3) Ibid., p. 23.
    (4)  Michel Pinçon, Monique Pinçon-Charlot, Le président des riches, enquête sur l’oligarchie dans la France de Nicolas Sarkozy, Paris, La Découverte/Poche, 2011, p. 22.
    (5) Ibid., p. 23.
    (6) Ibid., p. 24.
    (7) Ibid.
    (8) Michel Pinçon, Monique Pinçon-Charlot, Le président des riches, enquête sur l’oligarchie dans la France de Nicolas Sarkozy, Paris, La Découverte/Poche, 2011, p. 22.
    (9) http://www.elysee.fr/president/les-actualites/discours/2011/discours-a-l-occasion-de-la-seance-inaugurale.10440.html?search=augmentation&xtmc=augmenter_les_impots&xcr=5. Cette affirmation a été réitérée dans de nombreux autres discours.
    (10) Article du Monde le 21 octobre 2011,  http://www.lemonde.fr/politique/article/2011/10/21/au-moins-24-nouvelles-taxes-ont-ete-creees-en-cinq-ans_1591172_823448.html
    (11
    Ibid.


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