• Le quai de Ouistreham - Florence Aubenas - Editions de l’Olivier, Points (2010)

    Le quai de Ouistreham - Florence Aubenas - Editions de l’Olivier – Points (2010)En 2009, pendant six mois, Florence Aubenas part pour Caen se fondre dans la masse des demandeurs d’emploi. Avec pour tout bagage officiel un bac, elle cumule les emplois précaires et les petits boulots épuisants dans le domaine que Pôle Emploi considère le plus approprié : agent de propreté (c’est-à-dire femme de ménage). Elle y côtoie d’autres femmes qui essaient de s’en sortir tant bien que mal en ces temps de crise où l’employeur est roi et où il faut donc savoir baisser la tête et trimer. Certaines de ces femmes ont des cœurs en or, mais la plupart ont surtout la démarche épuisée de celles qui se lèvent tôt pour ne gagner pas grand-chose et qui multiplient les heures pour joindre les deux bouts.

    Dans ce monde, il faut s’adapter à des réalités bien concrètes. Notamment, la notion du temps est importante : « Dans les bus, il faut s’habituer à nettoyer une vitre sur deux. C’est ennuyeux parce qu’on voudrait laver tous les carreaux pareil, on a été élevé comme ça, c’est normal. Ce n’est pas possible, on n’a pas le temps, les employeurs calculent les heures de travail au plus juste ». Bien sûr il y a des hommes de ménage, mais il y a des tâches exclusivement féminines : « Les hommes passent l’aspirateur, l’autolaveuse, nettoient les restaurants ou les bars, dressent les couchettes pour les traversées de nuit. Jamais ils ne frottent la cuvette des WC ». Le travail est harassant et les heures, y compris supplémentaires, ne se comptent plus : « J’ai un coup de fatigue, je ne vois nulle part où m’asseoir une minute, à part les toilettes. J’ai faim et soif. Deux heures de travail sur place sont payées : j’en mets trois, mais je me garde bien de le signaler, pas plus que je ne l’ai fait pour mon dépassement horaire dans les bureaux hier soir ».

    La concurrence est telle qu’on ne peut pas se permettre de refuser le moindre boulot. « Si tu refuses une fois, tu es foutue, disparue, à la trappe. La boîte ne te rappelle jamais. Il y en a plein qui attendent derrière nous. » Il faut se contenter de se qu’on a, « tu te souviens comment c’était dur quand on n’avait rien ? » Pôle Emploi joue-t-il son rôle ? On est en droit d’en douter si l’on écoute la responsable d’une agence qui tance une conseillère choquée par des patrons qui imposent leurs tarifs horaires à la baisse : « “Ne commencez pas à décourager les employeurs, agissez comme ils vous le demande, ne les contredisez pas. Les offres ne sont pas faites selon vos désirs à vous, mais selon les leurs.” De toute façon, il n’y a pas de contrôle pour les employeurs, seulement pour les employés ». Et ce qui compte, c’est faire du chiffre : « Pôle Emploi n’aime pas que des gens se présentent directement, sans passer par eux : si par hasard ils étaient choisis, le recrutement ne compterait pas pour les statistiques positives de leur agence ». Pourquoi réunit-on certains demandeurs d’emploi ? Parce que « les chiffres du chômage doivent s’améliorer quoi qu’il arrive. Cette réunion en était un des moyens. On convoque une catégorie de chômeurs, cadres, RMistes, peu importe. Une partie ne viendra pas, et sans justificatif, c’est statistique. “Ce n’est pas grave”, avait tempéré le conseiller. Ils peuvent se réinscrire après, s’ils veulent, mais cela permet de faire chuter les chiffres, même pour quelques jours ».

    Florence Aubenas nous décrit une crise de l’emploi, mais aussi une crise des valeurs humaines.

    GLR

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