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Les derniers jours de Smokey Nelson - Catherine Mavrikakis - Sabine Wepieser (2012)
Smokey Nelson attend dans les couloirs de la mort du pénitencier de Charlestown son exécution pour le quadruple meurtre qu’il a commis il y a près de 20 ans. Ce sont successivement les voix des acteurs de ce drame qui alternent pour évoquer à la fois des bribes de leurs souvenirs, de leur hantise mais aussi des bouts d’Amérique et de leur vie, de leurs espoirs. Tous vont se trouver aux prises de cet évènement, dans cette ville proche d’Atlanta, dans le sud des États-Unis.
On rencontre tout d’abord Sydney Blanchard qui se rend sur la tombe de son idole et double Jimmy Hendrix avant de partir de Seattle pour se rendre dans sa Louisiane natale. Sydney Blanchard est noir comme Smokey Nelson. Et il a été faussement accusé des crimes et emprisonné pendant quelques temps, lui, le noir qui aurait pu être condamné en lieu et place de Smokey Nelson. Et on suit Sydney Blanchard tout au long de son monologue et dialogue avec sa chienne adorée, dans sa diatribe contre la société américaine mais aussi sa description de la Nouvelle-Orléans, sa vie et ses amours. Pearl Watanabe, originaire de Honolulu, est à l’inverse de Sydney une femme sereine qui cultive la vie zen. C’est elle qui a découvert la scène du crime dans le motel des environs d’Atlanta où elle travaillait alors. Traumatisée par cette journée d’octobre 1989, elle est repartie vivre dans son île d’Hawaï mais s’apprête à rejoindre sa fille dans ce sud des États-Unis qu’elle a fui, aux derniers jours de vie de Smokey Nelson. Deux points de vue différenciés entre la mère et sa fille sur la vie américaine se font écho. Mais déjà on découvre Ray Ryan qui s’apprête à quitter son domaine dans les montagnes de Géorgie avec son fils Tom pour aller assister à l’exécution de l’assassin de sa fille, de ses deux petits-enfants et de son gendre. Il attend avec satisfaction que la justice divine soit rendue dans un long prêche qu’il entend de Dieu à son égard. Profondément conservateur et intolérant, il décrit sa petite société étriquée qui s’organise autour de lui, le patriarche fidèle à Dieu. Enfin Smokey Nelson, autour duquel gravitent ces vies, raconte ses dernières heures avant l’exécution.
Catherine Mavrekakis présente dans ce roman polyphonique différentes voix de l’Amérique actuelle. Elle sait merveilleusement enchaîner les points de vue autour d’une même affaire qui hante les États-Unis, autour de cette peine de mort qui fait rejoindre sans jamais les confronter directement les situations d’un républicain ultrareligieux et intolérant avec celle d’un noir américain qui porte un regard désabusé sur la société ou celle d’une femme en quête de sérénité dans ce monde violent. Catherine Mavrekakis nous emporte dans ces multiples microcosmes en nous faisant vivre les pensées des uns et des autres au sein des familles, des conflits, des incompréhensions entre une mère jugée « fataliste » et « mystique » et une fille qui multiplie les activités pour ne pas avoir à penser à la réalité de sa vie. C’est un régal d’entrer ainsi de plein pied dans la société américaine, tout en maintenant en permanence et sur le fil une analyse psychologique fine des acteurs en présence. L’écriture est sensible et d’une profonde acuité. Le style varie avec bonheur selon les positions des acteurs, alternant le monologue rythmé de Sydney avec sa chienne, les sensations douces et différenciées entre Pearl et sa fille puis le discours imprécatoire de Dieu tel qu’il est reçu par Ray Ryan. Parfois cependant les alternances semblent se répéter. Les voix se font écho mais restent cloisonnées, ce qui est certainement le point de vue attendu de l’auteure pour décrire une société multiculturelle mais en même temps très close dans ses relations. Un bon moment de lecture qui donne envie de découvrir d’autres livres de cette auteure elle-même issue du melting-pot américain, d’un père grec et d’une mère française et qui vit aujourd’hui à Montréal et écrit en français.
BBLR
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