• 1Q84 - Haruki Murakami - Belfond (2011-2012)1Q84 - Haruki Murakami - Belfond (2011-2012)La référence à 1984 de George Orwell est évidente pour expliquer le titre de ce roman. En 3 tomes d’un peu plus de 500 pages chacun, Murakami nous campe une histoire d’amour (impossible ?) entre les deux protagonistes. Tous deux ont 30 ans en cette année 1984 et vivent à Tokyo. Elle, Aomamé, est une belle jeune femme professeur de gymnastique dans un club de sport plutôt select. Lui, Tengo, est professeur de math et romancier à ses heures.

    Ils ne se connaissent pas… ou plutôt si, ils se sont croisés à l’âge de 10 ans sur les bancs de l’école. Elle suivait alors souvent sa mère, fervente adepte d’une secte, les Précurseurs, lors de ses portes-à-portes consacrés au prosélytisme. Lui suivait alors souvent son père, collecteur de redevance de la NHK (qui gère les radios et télévisions publiques japonaises) lors de ses portes-à-portes impitoyables pour débusquer les contrevenants.

    Aomamé pénètre par hasard (peut-être pas ?) dans un monde parallèle qui se déroule pendant l’année 1Q84 (Q et 9 se prononcent de la même façon en japonais). Il y brille deux lunes. Une mission lui est allouée : éliminer le gourou de la secte des Précurseurs. Sa mission accomplie, Aomamé devra se terrer dans un appartement en lisant Proust.

    Tengo se voit confier la mission de réécrire le livre de la très jeune Ériko Fukaéri, La chrysalide le l’air, qui décrit un monde où il est question de « Little people », de DAUGHTER/MOTHER, de PERCEIVER/RECEIVER. Ce livre écrit par une ancienne adepte de la secte devient un best-seller. Sa mission accomplie, Tengo devra essayer de renouer des liens avec son père dans la Ville des Chats.1Q84 - Haruki Murakami - Belfond (2011-2012)

    Entre ces deux protagonistes, un troisième personnage, le disgracieux mais ingénieux Ushigawa, tente de retrouver l’un en suivant l’autre. Aomamé et Tengo mènent leurs histoires en parallèle. Et pourtant leur seul désir profond n’est-il pas de se trouver ? Ce pourrait être la seule possibilité de se retrouver dans le monde réel. « Chacun de nous a nommé ce monde avec des mots différents. Moi, je l’ai appelé “l’année 1Q84”, et Tengo “La Ville des Chats”. Ces termes désignent cependant une même réalité. »

    L’écriture de Murakami est fluide, souvent charnelle, toujours imagée, et les comparaisons et les métaphores sont omniprésentes, souvent inattendues voire insolites (« Autour d’eux, la ville nocturne s’écoulait comme un courant marin coloré par des protozoaires luminescents »). Un problème de taille sur ce triptyque : pourquoi 3 tomes là où un seul aurait été suffisant, en évitant parfois la dilution ? Et un bémol sur le fond : je suis moins transporté par ce livre que par le parcours initiatique décrit dans une œuvre puissante comme Kafka sur le rivage.

    GLR

    1Q84 - Haruki Murakami - Belfond (2011-2012)


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  • La trêve - Primo Levi - Grasset,  Les Cahiers Rouges (1966)Ô temps, suspends ton vol… Oui le temps paraît suspendu lorsqu’à la libération du camp d’Auschwitz Primo Lévi se trouve embarqué par l’Armée Rouge dans un voyage parfois surréaliste sur les routes d’Europe centrale, ponctué de brusques avancées puis de longs arrêts inexpliqués. La Trêve est ce parcours transitoire et presque initiatique entre l’indicible du camp et le retour chez soi, le difficile retour à la vie après que l’anormal soit devenu la normalité. Le train semble avancer vers la Roumanie, le lieu où les panneaux sont écrits dans une langue qui sent presque l’Italie, mais son parcours est erratique et il s’enfonce vers le nord de la Russie avec ce groupe mêlé de rescapés, de paysans exilés, de voleurs et de fous.

    Dans ce récit picaresque et rempli d’humour, Primo Levi nous décrit à la fois une Armée Rouge soumise à la loi du hasard, à la désorganisation la plus totale, mais dont les hommes et les femmes vivent aussi dans une communauté très soudée, vibrante et vivante, remplie de soubresauts et de joie enfantine. Primo Lévi nous fait vivre la libération, la folie de ces journées de fête où les Russes se tombent dans les bras les uns des autres, embrassent toute personne rencontrée sur le chemin, alternent des spectacles plus loufoques les uns que les autres… il nous raconte aussi comment s’organise le convoi de retour en suivant un schéma extérieur à toute logique. Les Russes oublient souvent de nourrir ses occupants ou fournissent des rations alternant entre une semaine d’huile et une semaine de charcuterie surabondante… C’est la pagaille ! Mais ce livre nous offre une joyeuse pagaille… un moment suspendu de réapprentissage de la vie dans un monde en ruine rempli de rencontres improbables.

    Improbable cette rencontre avec un Grec haut en couleurs. Et tout aussi improbable de se retrouver à discuter avec un prêtre polonais dans la seule langue qui leur permette de se comprendre : le latin. Lorsqu’avec son ami italien il se retrouve à imiter la poule qu’il convoite devant des villageois russes incrédules, en grattant le sol, en caquetant dans un caquètement qui semble visiblement éloigné de celui des poules russes tant l’incompréhension demeure entre Russes et Italiens… tous ces moments magnifiquement décrits avec un humour tendre par Primo Lévi marquent ce temps suspendu. Mais ce temps est une parenthèse… le retour n’est pas facile lorsque Primo Lévi dit en traversant l’Autriche qui le rapproche de son pays, « je sentais le numéro tatoué sur mon bras crier comme une plaie ». Primo Lévi revient à la réalité, mais qu’est devenue sa réalité quand réapparaît ce rêve interminable à intervalles plus ou moins rapprochés ?

    « C’est un rêve à l’intérieur d’un autre rêve, et si ses détails varient, son fond est toujours le même. (…) Le rêve intérieur, le rêve de paix est fini, et dans le rêve extérieur, qui se poursuit et me glace, j’entends résonner une voix que je connais bien. Elle ne prononce qu’un mot, un seul, sans rien d’autoritaire, un mot bref et bas ; l’ordre qui accompagnait l’aube à Auschwitz, un mot étranger et redouté : debout, « Wstawać »

    Vers quelle réalité revient celui qui a traversé l’innommable ? La Trêve avant le retour reste cette magnifique traversée, témoignage, naufrage et passage. Embarquez-vous sans hésiter !

    BBLR

    La trêve - Primo Levi - Grasset,  Les Cahiers Rouges (1966)


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  • Extrêmement fort & incroyablement près - Jonathan Safran Foer - Ed. de l’Olivier (2006)Oskar est un petit garçon extrêmement curieux de tout et incroyablement imaginatif. Il est ouvert à la vie et au monde passionnant qui l’entoure. Il doit surmonter la mort de son père survenu le pire jour dans l’une des tours jumelles. Un père si proche de son fils, si intelligent et intuitif dans ses rapports avec ce fils qu’il semble impossible de combler cette disparition. Mais il n’y a pas disparition d’un être tellement présent dans le cœur et l’esprit.

    Oskar ce lance dans une quête pour comprendre le message que lui a laissé son père, une quête régénératrice qui l’oblige à dépasser ses peurs, à aller vers l’autre et l’inconnu, à retrouver ses proches. Pour Oskar, « la vie est une difficulté insurmontable ». Oskar n’est pas le seul à chercher ou à se chercher : un grand-père et une grand-mère, chacun de leur coté, doivent revenir sur leur passé pour comprendre et faire comprendre leur présent, offrant en présent à l’enfant leur amour. L’un est persuadé qu’« on ne peut rien aimer plus qu’on aime ce qui nous manque » et avoue « J’ai si peur de perdre ce que j’aime que je refuse d’aimer quoi que ce soit » ; l’autre se demande « pourquoi quiconque s’avise-t-il de faire l’amour » et constate « J’ai perdu quelque chose que je n’ai jamais eu ».

    Chacun des trois personnages montrent leur personnalité à travers la forme matérielle que prend l’écriture, faisant de ce livre un jeu de miroir pour comprendre ces êtres. Oskar a le franc parler d’un enfant plein de pensées mais sans arrière-pensées et toujours attentif aux autres, plein d’humour, volontaire ou non, dans son observation du monde : « le truc hallucinant, c’est que j’ai lu dans National Geographic qu’il y a plus de gens vivants aujourd’hui qu’il n’en est mort dans toute l’histoire de l’humanité. Autrement dit, si tout le monde voulait jouer Hamlet en même temps, ce serait impossible, parce qu’il n’y a pas assez de crânes ! ». Oskar a une logique à toute épreuve qui attendrit ses interlocuteurs : « Les humains sont le seul animal qui rougit, qui rit, qui a une religion, qui fait la guerre et qui embrasse avec les lèvres. Alors en un sens, plus on embrasse avec les lèvres, plus on est humain ».

    GLR

    Extrêmement fort & incroyablement près - Jonathan Safran Foer - Ed. de l’Olivier (2006)

     

    Voir aussi l’opinion sur le film de Stephen Daldry « Extrêmement fort et incroyablement près »


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  • Du domaine des murmures - Martinez Carole - Gallimard (2011)En l’an 1187, Esclarmonde, fille du seigneur du domaine des Murmures, refuse d’endosser le rôle qu’on attend d’elle : se marier avec Lothaire de Montfaucon, jeune châtelain vaniteux et coureur, s’éteindre dans son rôle d’épouse soumise… Et elle dit « non » le jour de la noce, choisissant de s’emmurer vivante pour prier. Son père humilié lui fait construire une cellule attenante à la chapelle de son château, avec une seule ouverture sur le monde par une fenestrelle pourvue de barreaux. Il enterre sa honte et sa fille. Et Esclarmonde attend de cette immobilité contemplative son « ascension par la prière », alors même que sa servante Jehane parvient à partir sur les routes avec son amour :

    « Jehane est partie pour Paris à pied avec son maigre baluchon et un ventre déjà rond qu’elle m’avait fait palper depuis la fenestrelle en riant.

    Nous étions séparées pour de bon. Elle, en branle de par le monde, ferait des routes sa demeure, elle traverserait le pays, mesurerait la création à l’aune de ses foulées, elle vivrait sous le ciel tel un aubain, travaillerait en chemin, s’arrêtant où Pierre et son père trouveraient de l’ouvrage, elle irait au-delà du grand calvaire qui marquait la fin de cette terre et barrait l’horizon. (…) Elle enflerait la vague des marcheurs, ce peuple nomade, composé d’errants, de fugitifs, de jongleurs, de compagnons et de pèlerins. Ceux qui traînaient leur croix, ceux qui coupaient leurs liens, ceux qui marchaient leur rédemption. Et moi, je resterais en ma cellule, contemplant les univers que le Christ me donnerait à voir, immobile, toute à mon voyage vertical, à mon ascension par la prière et chacun saurait où me trouver, comme on sait où trouver un moulin ou une tombe. Elle serait la parole vivante livrée au vent et déjà envolée, et moi un mot lourd gravé dans la pierre ».

    Mais le silence ne s’impose pas de lui-même, tout autant que la solitude. Les gens affluent auprès de la recluse, de la nouvelle sainte… et la parole d’Esclarmonde, tout autant que ses rêves, s’étendent du domaine des Murmures jusqu’en Terre Sainte. Elle est « posée comme une borne à la croisée des mondes ». Et quelqu’un s’est immiscé dans son ventre pour s’opposer à cette solitude volontaire, introduisant l’amour et la ligne entre les vivants et la prière.

    Carole Martinez nous introduit dans le murmure d’un monde envoûtant. Avec un puissant souffle poétique, elle nous emporte dans un univers suave, cruel, empli de rêves, un univers de contes que notre époque semble avoir oublié… comme le rappelle la voix d’Esclarmonde :

    « Le monde en mon temps était poreux, pénétrable au merveilleux. Vous avez coupé les voies, réduit les fables à rien, niant ce qui vous échappait, oubliant la force des vieux récits. Vous avez étouffé la magie, le spirituel et la contemplation dans le vacarme de vos villes, et rares sont ceux qui, prenant le temps de tendre l’oreille, peuvent encore entendre le murmure des temps anciens ou le bruit du vent dans les branches. Mais n’imaginez pas que ce massacre des contes a chassé la peur ! non, vous tremblez toujours, sans même savoir pourquoi ». (…) « Certes ton époque n’enferme plus si facilement les jeunes filles, mais ne te crois pas pour autant à l’abri de la folie des hommes. J’ai vu passer les siècles, l’histoire n’a jamais cessé de chambouler nos vies et les évidences sont infiniment fragiles. »

    Alors pour veiller, pour retrouver la magie du merveilleux et son écho aujourd’hui, lisez ce livre dans un murmure… c’est un régal !

    BBLR

    Du domaine des murmures - Martinez Carole - Gallimard (2011)


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  • Démons quotidiens - Huston Nancy & Petty Ralph - L’Iconoclaste (2011)Nancy Huston (Textes) et Ralph Petty (Dessins)

    Un jour, Nancy Huston a vu une série de lavis (peintures unicolores) réalisés par Ralph Petty qui lui ont plu. Il les faisait en une dizaine de minutes chaque matin, juste après la lecture des journaux ou l’annonce des nouvelles à la radio. Il les peignait sans réfléchir, en laissant sa main accomplir son dessein, sans comprendre même lui-même ce qu’elle avait voulu exprimer. Il les appelait ses Notes du Souterrain, mêlant nos angoisses et nos rêves collectifs et personnels. Et lorsque Nancy Huston les a montrés quelques années plus tard à son éditrice, celle-ci a eu l’idée d’un livre à quatre mains, un texte répondant en dialogue à une image chaque jour, sur une année.

    Une sorte de « journal intime et politique » entrecroisant dans l’expérience de l’écrivaine et du peintre « les évènements du monde » et ceux de leur vie intérieure et intime. Cet échange des « mots » quotidiens avec des « images » émergeantes a donné lieu aux « Démons quotidiens », au démontage des « monts » quotidiens… Et Nancy Huston sait saisir les maux de son temps, ses « démons », avec la justesse et la finesse que j’ai aimées dans un de ses précédents romans, Lignes de faille. Un exemple glané parmi tant d’autres :

    « Juin 2010, La retraite à vingt ans

    Je me souviens de la gravité avec laquelle, quand ma fille est entrée au CP en 1985, le directeur de son école nous a dit : “La préparation du bac commence maintenant.” J’avais envie de renchérir : “Et la retraite de ces pauvres petits ? On y pense ?”

    Tout le monde fait semblant de ne pas voir ce qui se passe pour les neuf-dixièmes des citoyens de notre pays : après une éducation stressante, sous pression constante, dans la rivalité, la tension et l’angoisse de la préparation des examens, ce à quoi on peut s’attendre c’est, au pire, le chômage, et au mieux, trente-sept, trente-huit ou trente-neuf ans d’un emploi sans intérêt, sans la moindre possibilité d’épanouissement.

    “Travailler plus pour gagner plus”: le plus horrible projet de vie qui ait été proposé à un peuple par son chef. »

    Une voix qui dessille… et un coup de crayon qui laisse à voir notre multitude sous nos choix, nos peurs et nos fantasmes dits « personnels »… Le dessin répond souvent bien au texte, élargit sa pensée. Et le texte s’accorde bien aux décalages des lavis. Les Démons quotidiens se lisent d’une traite, presque sans respirer, ils font écho à certaines de nos pensées, parallèlement à celles de l’auteur et du peintre, qu’il s’agisse du féminisme, de l’écologie, du fric et du pouvoir… on le lit même un peu trop vite… il semble alors manquer un petit quelque chose, ce n’était sans doute pas l’objet du livre, mais on souhaiterait un dialogue plus approfondi encore aux multiples questions posées, un dialogue à poursuivre, à compléter ?

    BBLR

    Démons quotidiens - Huston Nancy & Petty Ralph - L’Iconoclaste (2011)


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  • Les vaches de Staline - Sofi Oksanen - Stock, La Cosmopolite (2011)Ce livre de Sofi Oksanen a été écrit en 2003. Disons-le tout de suite, il ne souffre pas la comparaison avec l’excellent Purge. Surfant sur la vague de la réussite, ce premier roman nous est donc arrivé.

    Il entremêle plusieurs parcours. Principalement celui actuel d’une jeune femme de 25 ans, Anna, souffrant d’anorexie-boulimie (plus exactement de « boulimarexie »). Mais aussi le parcours de sa mère, Katariina, Estonienne immigrée en Finlande, qui a vécu sa jeunesse dans l’Estonie soviétique des années 70 et qui a pu fuir son pays natal en épousant un Finlandais puis en reniant de façon drastique sa langue et ses origines. Et les liens avec ceux qui sont restés en Estonie sont difficiles : « Ma mère doit graisser la patte aux facteurs pour que les lettres envoyées par ma grand-mère aux bons soins de ma tante soient remises en mains propres à ma grand-mère » et le retour au pays plein d’amertume : « mon pays m’escroque, mon pays me vole, mon pays m’arnaque. Ça fait mal ».

    Enfin, ici et là, on découvre le difficile parcours de certains aïeuls d’Anna dans les années 40 et 50. Existe-t-il une logique permettant de comprendre l’évolution de ces générations ? Pas vraiment, malheureusement.

    On ressent assez rapidement une indigestion des descriptions quasi cliniques de ses comportements déviants et de son culte de l’apparence qui va avec : « s’étant fait un nouveau corps, Anna l’idolâtre ». « Dès que je reconnaissais un goût, j’achetais deux kilos de bonbons en question. Ils me procuraient l’exacte sensation qu’attendait ma bouche, ils avaient un goût parfait, ils contenaient mon monde en voie d’extinction ». Avec cependant de rares métaphores bien senties : « J’ai cousu ma bouche et inventé pour mon corps une langue où les kilos sont des mots, où les syllabes sont des cellules, une langue où les reins endommagés et les viscères déchirés sont les règles de grammaire ».

    Les affres des troubles alimentaires et les vomissements d’Anna sont décrits avec force détails jusqu’à la nausée. Bref, on est bien loin de la forme expurgée de son roman à succès.

    GLR

    Les vaches de Staline - Sofi Oksanen - Stock, La Cosmopolite (2011)

     


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  • Paris est une fête - Esnest Hemingway - Gallimard, Folio (1964)Paris a été une fête pour Hemingway… lorsqu’il était jeune et s’exerçait au métier d’écrivain, au lendemain de la Première Guerre mondiale. Il vivait pauvrement dans le Paris des années 1920, mais il vivait heureux avec sa femme dont il était éperdument amoureux, avec son premier fils…

    Ce sont ces bonheurs, ces passions de lectures et de libraires, de restaurants, de bars et de bons vins, ces découvertes, ces rencontres avec la terrible Gertrude Stein et ses conseils (ne faites par attention à la façon dont vous êtes habillés, et avec l’argent économisé pour vos vêtements achetez des tableaux), le fantasque Fitzgerald et sa Zelda tout autant que le généreux poète Ezra Pound. Ce sont aussi ces voyages en montagne ou en Espagne lorsque bon semblait au couple Hemingway de partir. C’est cette liberté qu’avant tout Ernest Hemingway fait revivre dans un roman très autobiographique écrit à la veille de sa mort…

    Le roman suit l’émergence d’une plume sûre d’elle et surtout certaine que « ce qu’il faut c’est écrire une seule phrase vraie » lorsque la plume a du mal à démarrer... Paris est une fête, ce sont des rues sillonnées, des places traversées, un espace de jeunesse et d’insouciance, jusqu’aux adieux aux âmes de cette liberté, jusqu’au seuil de la rupture avec sa femme, avec ce Paris-là…

    Un vrai plaisir, un savoureux mélanges de notes qu’on dévore, de récits, de jours et de nuits qu’on traverse dans la ville-lumière, dans une époque aussi révolue et pourtant proche, chaude comme le poêle de la chambre de bonne où se trouvait son nid … la jeunesse d’Hemingway et de toute une génération d’écrivains en quête, libres… « Pauvres de nous », comme disait sa femme Hadley, « dont toute la fortune tient dans un encrier », pauvres mais heureux… comme son Tatie lui répond : « Nous avons beaucoup de chance ».

    Laissons parler l’écrivain en devenir, laissons son cahier sortir de sa veste et se remplir… dans un bon café de la place Saint-Michel connu de lui :

    « C’était un café plaisant, propre et chaud et hospitalier, et je pendis mon vieil imperméable au portemanteau pour le faire sécher, j’accrochai mon feutre usé et délavé à une patère au-dessus de la banquette et commandai un café au lait. Le garçon me servit et je pris mon cahier dans la poche de ma veste, ainsi qu’un crayon, et me mis à écrire. J’écrivais une histoire que je situai, là-haut, dans le Michigan, et comme la journée était froide et dure, venteuse, je décrivais dans le conte une journée toute semblable (…).Paris est une fête - Esnest Hemingway - Gallimard, Folio (1964)

    Une fille entra dans le café et s’assit, toute seule, à une table près de la vitre. Elle était très jolie, avec un visage aussi frais qu’un sou neuf, si toutefois l’on avait frappé la monnaie dans de la chair lisse recouverte d’une peau toute fraîche de pluie, et ses cheveux étaient noirs comme l’aile du corbeau et coupés net et en diagonale à hauteur de la joue.

    Je la regardai et cette vue me troubla et me mit dans un grand état d’agitation. Je souhaitai pouvoir mettre la fille dans ce conte ou dans un autre, mais elle s’était placée de telle façon qu’elle pût surveiller la rue et l’entrée du café, et je compris qu’elle attendait quelqu’un. De sorte que je me remis à écrire.

    Le conte que j’écrivais se faisait tout seul et j’avais même du mal à suivre le rythme qu’il m’imposait. Je commandai un autre rhum Saint-James et, chaque fois que je levais les yeux, je regardais la fille, notamment quand je taillais mon crayon avec un taille-crayon tandis que les copeaux tombaient dans la soucoupe placée sous mon verre.

    Je t’ai vue, mignonne, et tu m’appartiens désormais, quel que soit celui que tu attends et même si je ne dois plus jamais te revoir, pensais-je. Tu m’appartiens et tout Paris m’appartient, et j’appartiens à ce cahier et à ce crayon ».

    BBLR

    Paris est une fête - Esnest Hemingway - Gallimard, Folio (1964)


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  • L’ombre de ce que nous avons été - Luis Sepúlveda - Métailié (2010)Les disputes conjugales peuvent être mortelles. Un vétéran spécialiste de la lutte contre Pinochet n’a pas le temps de l’apprendre à ses dépens. Trois autres anciens militants gauchistes sur le retour, quelque peu nostalgiques de la clandestinité, attendent dans un hangar l’arrivée hypothétique de ce spécialiste en refaisant l’histoire. L’un déteste les poulets (l’animal), l’autre parle tout seul depuis que les militaires lui ont fait sauter un fusible, le troisième s’est exilé des années à Paris et n’a même pas connu Brigitte Bardot. Un vieil inspecteur de police accompagne paternellement les premiers pas de sa jeune adjointe en enquêtant sur une mort suspecte. L’inspecteur va-t-il trouver le coupable ? Les trois compères vont-ils réussir leur coup ?

    Les personnages sont un peu trop légers pour que le lecteur puisse s’accrocher corps et âmes à cette histoire. Luis Sepúlveda nous parle avec une nostalgie mêlée de truculence de son Chili, « immuable pays de la mémoire, intacte comme un nichon de sainte Thérèse ou un film de Roger Vadim ».

    GLR

    L’ombre de ce que nous avons été - Luis Sepúlveda - Métailié (2010)


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  • J’aurais voulu être égyptien - Alaa El Aswany - Actes Sud (2009)Ce recueil de nouvelles commence par un long récit. En exergue de ce récit, la citation de Mustapha Kamel, militant nationaliste égyptien, explique le titre de l’ouvrage : « Si je n’étais pas né égyptien, j’aurais voulu être égyptien ». Est-ce pour autant un hymne à la patrie d’Alaa El Aswany ? Sous un masque trompeur et de façon sarcastique, l’auteur nous campe au fil de ces historiettes les principaux défauts de ses compatriotes.

    Ainsi, un Egyptien capable de renier son milieu politique, ses origines, voire sa religion (« Me débarrasser de la religion a été facile, cela a pris plus de temps avec le marxisme »)… ne peut-il être au final qu’un malade victime d’hallucinations. Dans ce pays, l’enfant handicapé apparaît comme un révélateur tantôt de l’adaptabilité de l’Egyptien (l’unijambiste lancé dans une course folle à vélo), tantôt de sa cruauté (l’obèse humilié au cours de gymnastique). Dans ce pays, la femme mène une vie bien dure à l’innocent mâle : ici elle fait exprès de tomber enceinte, là elle est provocante pour mieux bénéficier d’une dot.

    Alaa El Aswany se moque des religieux (et non de la religion) délaissant la nourriture spirituelle au profit des biens terrestres, mais se moque aussi des hommes de pouvoir comme ce chirurgien mandarin adepte de la médiocrité ou cet instituteur capable de dévoyer le meilleur des élèves. Un livre à ne pas prendre au premier degré, comme l’avait fait la censure égyptienne (dont la description en préface vaut le coup d’œil), mais au troisième degré : tout y est romancé mais probablement vrai.

    GLR

    J’aurais voulu être égyptien - Alaa El Aswany - Actes Sud (2009)


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  • La folie de Pinochet - Luis Sepúlveda - Éditions Métailié (2003)« J’écris parce que j’ai une mémoire et je la cultive en écrivant… ». En 2003 le Chili commémorait 30 années de deuil de son espoir, abattu sous les bottes d’un Pinochet chaussé par la CIA, Kissinger et Nixon. Pour ne pas oublier ce jour du 11 septembre 1973 où la démocratie a été déboulonnée. Ce 11 septembre-là, le président de la République Salvador Allende qui incarnait l’espoir de justice est mort dans le palais de la Moneda bombardé. Ce jour ouvrit la voie à une répression sanglante et à l’expérimentation sauvage des thèses ultralibérales de l’école de Chicago. Luis Sepúlveda fut une des multiples victimes de cette terreur militaire et idéologique. Des milliers de Chiliens furent torturés et assassinés. Les corps ont disparu mais la mémoire demeure, au-dessus du désert de l’Atacama.

    Ce jour-là je n’avais qu’un an. Je n’en ai entendu parler de ce jour de 1973 que bien plus tard, quand certains s’efforçaient de l’oublier. C’est contre cet oubli que Luis Sepúlveda n’a cessé d’écrire. Le 16 octobre 1998 Pinochet est arrêté en Angleterre, suite au mandat international lancé par le juge espagnol Baltazar Garzón. Mais après plusieurs mois de détention, il est renvoyé au Chili, considéré comme dément. Luis Sepúlveda suit attentivement l’espoir puis les atermoiements au Chili ou en Europe face à « cette vieille baderne de Pinochet » Il crie et poursuit la construction de sa barricade pour la mémoire, contre les déferlantes de la compromission et de l’oubli qui taraude son pays. Luis Sepúlveda fustige les années de « démocratie surveillée par les forces armées et le Fonds Monétaire International ». Certes beaucoup de choses ont changé au Chili après le départ de Pinochet « mais les caractéristiques fondamentales des deux Chili, qui cohabitent sur un même territoire, n’ont pas changé. Un Chili a été vaincu, d’abord politiquement et socialement, avant que les assassinats, les exécutions sommaires, les disparitions de personnes et la misère se chargent de la dégradation morale, du sacrifice de trois générations, d’un appauvrissement culturel atroce et d’un immense désespoir. Pendant ce temps, l’autre Chili, celui qui entoure à présent Pinochet, fêtait chaque crime, dansait avec chaque assassin, portait un toast chaque fois qu’un nom s’ajoutait à la liste des disparus ». Ni oubli ni pardon ! Luis Sepúlveda demande la justice et le réveil de tous les pays mais aussi du Chili « où il n’y a pas de confrontation d’idées et où la démocratie se confond avec la passivité sociale ».

    Cet ouvrage rassemble des articles qu’il a publiés dans des journaux européens pour rappeler à tous ce que furent les engagements politiques, les hommes disparus, la valeur de la littérature et le sens des mots… Luis Sepúlveda écrit en effet contre la perversion des mots (voir son superbe article « Outil portatif pour reconnaître les amis et les ennemis de la littérature dans ce recueil), pour résister à « l’empire de l’unidimensionnel, à la négation des valeurs qui ont humanisé la vie et qui s’appellent fraternité, solidarité, sens de la justice ». Luis Sepúlveda écrit parce qu’il aime sa langue et y reconnaît « la seule patrie possible, car son territoire est sans limites et son pouls un acte permanent de résistance ». Résister au détournement des mots et des idéaux, contre la folie de Pinochet et d’une globalisation sans âme.

    BBLR

    La folie de Pinochet - Luis Sepúlveda - Éditions Métailié (2003)


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  • La boîte noire - Amos Oz - Gallimard, Folio (Calmann-Lévy 1988)Ilana et Alec sont séparés depuis sept ans et ont rompu tout lien. Elle vit en Israël avec son nouveau mari Michel, sépharade religieux d’origine française, né en Algérie, et leur petite fille. Alec s’est expatrié aux Etats-Unis où il est devenu un intellectuel de renommée internationale. Après ce long silence, Ilana engage un dialogue épistolaire avec son ex-mari, d’abord au sujet de leur fils Boaz, adolescent illettré qui file un mauvais coton, puis pour tenter de comprendre ce qu’ils ont vécu ensemble et ce qui n’a pas marché.

    Chacun à leur manière, ils vont analyser le contenu de cette boîte noire. Ils vont nouer de nouveaux liens, directement. Mais aussi par l’intermédiaire, l’un de son ami avocat et l’autre de son religieux mari. Ces intermédiaires ont chacun à leur manière des certitudes sur les relations humaines. Des certitudes que n’ont pas Ilana et Alec.

    GLR

    La boîte noire - Amos Oz - Gallimard, Folio (Calmann-Lévy 1988)


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  • Tout, tout de suite - Morgan Sportès - Fayard (2011)Exposé apparemment objectif de l’enlèvement, de la séquestration pendant vingt-quatre jours, de la torture et de l’assassinat d’Ilan Halimi, ce livre entend saisir au jour le jour l’effroyable histoire de ce qui a ensuite été appelé « le gang des barbares ». Certes, Morgan Sportès nous permet de suivre pas à pas le parcours de ces jeunes pris dans un engrenage de folie. Il nous fait saisir à travers les trajets et les dialogues de chacun des protagonistes la bêtise et l’inconscience des actes, tout autant que la lâcheté des adultes qui se taisent lorsqu’ils savent. Morgan Sportès a souhaité décrire seulement.

    Mais peut-on écrire sans poser son propre regard sur cette histoire ? Morgan Sportès porte des jugements incessants sur les personnes de ce groupe. Il semble plaquer une analyse politique déterministe et conservatrice sur notre société en utilisant cette histoire sordide. Décevant (pour plus de détails, voir Pensées vagabondes).

    BBLR

    Tout, tout de suite - Morgan Sportès - Fayard (2011)


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  • Des gens très bien - Alexandre Jardin - Grasset (2010)Alexandre Jardin abandonne ici son masque d’écrivain enjoué, lumineux et léger. Celui qu’il a longtemps porté, à l’instar de son père, pour pouvoir vivre avec le passé « jardinesque ». Mais Alexandre Jardin ne veut plus vivre des accommodements avec l’histoire.

    Son grand-père était directeur de cabinet de Laval aux pires heures de l’histoire, entre 1942 et 1943. Jean Jardin se trouvait aux commandes du pouvoir le jour de la rafle du Vel d’Hiv, le 16 juillet 1942. Il côtoyait les principaux dirigeants du IIIe Reich en France et comptait parmi les huiles du gouvernement de Vichy. Mais il est passé à travers les mailles de l’épuration et n’a pas été inquiété par la suite. Personne n’a entaché son honneur et ne lui a fait le moindre reproche sur son passé, pas même le couple Klarsfeld ni son biographe Pierre Assouline. Jean Jardin est toujours apparu comme quelqu’un de très bien, un personnage honnête et respectable, moralement droit et intègre. Mais pourquoi a-t-il accepté de rester dans cette fange, pourquoi n’a-t-il pas démissionné le 16 juillet 1942 ? Comme le souligne son petit-fils « sans doute – aussi révoltant cela puisse-t-il paraître – parce qu’il crut faire le bien, selon son code éthique aussi rigoureux qu’éloigné du nôtre ; ou le moindre mal ».

    Le fils de Jean, Pascal Jardin, rêveur épris de littérature, contribua à magnifier le personnage paternel, à en faire un honnête homme tout en exhibant son passé. Dans un roman enlevé, « Le Nain jaune », Pascal Jardin surnommé « Le Zubial », détourna avec humour le passé vichyste de son père. Il « confectionna pour se protéger – et nous soulager – d’une réalité irrespirable un récit antitraumatique, une ahurissante fiction soignante ». Ce roman paru en 1978 fut alors acclamé par une presse quasi unanime dans une France qui n’avait pas encore ouvert les yeux sur son propre mythe national. « L’Académie française – jamais en retard pour jeter un voile de belle prose sur le pétainisme qui lui tenait lieu de seconde nature – (…) jugea opportun de décerner à papa son Grand Prix du roman ». Dans ce numéro de magie, le cirque médiatique permit d’éviter aux enfants Jardin mais aussi à la France de s’interroger sur ses actions de la veille. Comme le souligne Alexandre Jardin, « l’époque baignait encore dans le voisinage du degré zéro de la lucidité ». Et personne ne demanda à Pascal Jardin sur le plateau télé de Pivot ce que pouvait bien faire un directeur de cabinet de Laval en 1942.

    Le Nain Jaune pouvait-il ignorer le sort réservé aux Juifs ce 16 juillet 1942 alors même qu’il se trouvait au sommet du pouvoir ? Pouvait-il ne pas être antisémite alors même qu’il relisait les textes du gouvernement de Vichy, qu’il annotait les statuts sur les Juifs en France et qu’il baignait dans la propagande collaborationniste ?

    Derrière sa façade enjouée et ses rires en cascades, ces questions n’ont cessé de tarauder Alexandre Jardin depuis sa jeunesse. Il a dévoré en secret tous les livres, tous les écrits qui permettaient d’éclairer ce moment de l’histoire où sa famille a basculé dans le camp de l’inacceptable. Alexandre Jardin a décidé d’interroger cet héritage de collaboration assorti de bonne conscience, du sentiment d’avoir bien fait, ou tout au moins d’avoir fait au mieux.

    Son livre ne peut laisser indifférent. Il souligne le besoin de parfois trahir pour ne pas se trahir, pour ne pas se perdre en route et se casser intérieurement. Je n’adhère pas à son analyse d’une moralité et d’un altruisme de gens très bien qui se trouvent à franchir le Rubicon d’une « morale universelle » à certains moments sombres de l’histoire. Quelle est cette « morale universelle » en perpétuelle évolution qui s’est trouvé redéfinie pendant ces années noires ? Quelle est-elle d’ailleurs aujourd’hui ? Mais Alexandre Jardin interroge sur cette notion de « gens très bien ». Plus encore il nous questionne aussi personnellement et de manière très actuelle sur notre conception du bien, sur le danger à s’accaparer le « bien » ou à définir le « moindre mal ». (cf. Pensées vagabondes pour ces interrogations). A la manière du judaïsme le plus souriant décrit par Alexandre Jardin après sa rencontre avec Marc Alain Ouaknin et le Talmud, il pousse au « savoureux bonheur d’apprendre à ne plus savoir ce que je croyais connaître ». À répondre à nos interrogations par d’autres questions pour nous « décalcifier l’esprit ». Ne jamais être sûr de ses certitudes et toujours les interroger, n’est-ce pas la condition première de notre vigilance face au bien ou au « moindre mal » ? La recherche très personnelle d’Alexandre Jardin nous invite à toujours garder les yeux ouverts sur notre passé à l’heure où certains invoquent la nécessité de valoriser cette histoire, quitte à la mystifier. En effet, « si nous ne sommes pas coupables des actes de nos pères et grands-pères, nous restons responsables de notre regard ». Merci pour cet écrit !

    BBLR

    Des gens très bien - Alexandre Jardin - Grasset (2010)


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  • Rue de la Sardine - John Steinbeck - Gallimard, Folio (1947)Loin des monuments de la littérature (Les raisins de la colère, Des souris et des hommes, A l’est d’Eden) dont notre imaginaire de lecteur et de spectateur s’est nourri, Steinbeck nous offre un court roman qui se déroule dans une bourgade de sa Californie natale. Il y fait vivre des gens simples qui se compliquent la vie, à l’image de Mack et de ses copains, et d’autres complexes qui tentent de se la simplifier, comme Doc l’hédoniste disséqueur d’animaux en tout genre ou Lee le commerçant chinois.

    Cette communauté faite d’une mosaïque de personnalités touchantes tente de vivre en harmonie, de se comprendre et de se respecter, dans une Amérique où les constats amers : « les choses que nous admirons le plus dans l’humanité : la bonté, la générosité, l’honnêteté, la droiture, la sensibilité et la compréhension, ne sont que des éléments de faillite, dans le système où nous vivons. Et les traits que nous détestons : la dureté, l’âpreté, la méchanceté, l’égoïsme, l’intérêt purement personnel sont les éléments mêmes du succès » nous semblent parfois bien proches de notre société actuelle.

    Voilà cette Amérique que nous décrit Steinbeck, où « deux générations d’Américains en savent davantage sur les engrenages de la Ford que sur le clitoris, sur le système planétaire de son changement de vitesse que sur le système solaire des étoiles », un pays observé avec bienveillance et lucidité, où un coiffeur cultivé peut se révéler un « collectionneur des premières éditions d’écrivains qui n’en avaient jamais eu de secondes ».

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    Rue de la Sardine - John Steinbeck - Gallimard, Folio (1947)


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  • Le baiser d’Esaü - Meir Shalev - Albin Michel (1993)Avoir son père, Abraham Levi, boulanger éternel insatisfait et sa mère, Sarah, perpétuelle amoureuse issue d’une famille nouvellement convertie n’empêchent pas deux jumeaux, Jacob et Esaü, aussi différents physiquement que mentalement (avec pour seul point commun une grande myopie) de se retrouver un jour ou l’autre dans le pétrin. L’un restera à trimer dans les faubourgs de Jérusalem tandis que l’autre s’exilera en Amérique et nous contera l’histoire de sa famille. Une mère qui kidnappe son mari ; un père faible et déboussolé ; une nièce provocatrice chasseuse d’images ; une tante borgne menant une vie allaitante ; un cousin estropié subjugué par son frère. Ce frère, ébloui par Léa, sera-t-il capable de bonheur si le destin le lui permet ?

    Meir Shalev nous fait plonger dans ces parcours de vie avec un style alternativement truculent et empreint de gravité. Il brosse des personnages complexes et attachants, à l’instar de ce bibliothécaire collectionneur des dernières paroles prononcées par les grands hommes ou d’une coiffeuse qui a Paris pour unique référence. Il nous emmène dans un monde où en amour la vérité n’est pas univoque ; d’ailleurs le narrateur l’avoue : « Pour dire la vérité : quelque fois je mens ». Mais en amour, « les plus cruels mensonges sont dits en silence ». Et Meir Shalev, en bon écrivain, ne nous dit pas tout, car « le lecteur est doté d’une compréhension qui lui permet de combler ces vides ».

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    Le baiser d’Esaü - Meir Shalev - Albin Michel (1993)


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  • Le nouveau magasin d’écriture - Hubert Haddad - Zulma (2006)Débride tes brides imaginaires de l’écriture…Il faut ouvrir cet énorme grimoire pour inventer ses recettes de poésie et de prose. Tout comme dans un cabinet des curiosités, Hubert Haddad expose dans « Le nouveau magasin d’écriture » une multitude d’objets littéraires non identifiés qui ont permis au cours du temps à de multiples écrivains de plonger dans les mots de leur vie. En effet, « l’art d’écrire ne s’enseigne guère (…). Mais le goût d’écrire, lui, se conforte et se déploie dans le travail ; et ce dernier, libéré des censures et autres blocages liminaires, ne manque pas de s’affiner par maints retours sur soi… ». Entre photos, montages de mots, peintures, poèmes et autres textes, l’auteur, écrivain, historien d’art et promoteur des ateliers d’écriture, démonte ainsi les ressorts de la création littéraire et invite à expérimenter la plume.

    Mmhh ! Un régal de sorcellerie pour des envoûtements poétiques, des retours de nouvelles… et une romance ou un « roman se » prépare. Un véritable appel à l’inspiration pour laisser respirer son imaginaire. Même la « peau lisse » d’écriture de cet imposant ouvrage semble directement issue d’un conte de fées ou d’un rêve… Hubert Haddad invite à aller fouiner du côté de l’inconscient, à se défaire de sa peau d’âne dans l’écriture. Il part de l’état d’esprit de l’écriture. Ce gros grimoire s’ouvre sur la sonate des « six principes majeurs en prélude ». A partir de l’oubli du sens, de la direction, il s’agit de se perdre dans le labyrinthe des mots. Et surtout de se laisser surprendre par sa créativité oubliée, cadenassée. Lâcher prise avec ses incertitudes, ses incapacités et son pseudo-savoir pour « laisser venir dans le désordre, sans retenue ni sélection, les souvenirs, les associations mentales, les analogies ». Parce qu’« aucune création ne naît du vide mais d’un chaos préalable ». Hubert Haddad rappelle aussi qu’écrire c’est abandonner ses conventions, oublier les injonctions « ça ne se fait pas, ça ne se dit pas » parce qu’« on ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments ». Parce qu’« écrire, c’est d’abord travailler avec et sur la sensibilité ».

    Cette incitation à quitter ses oripeaux s’accompagne dans ce très bel ouvrage publié aux éditions Zulma d’une illustration, celle d’un plongeur. Et ce plongeur en écriture profonde nous demande de nous moquer de notre ordre moral intérieur ou public, de le contourner. Parce que « l’humour est un bain de jouvence où la plume doit se noyer à demi en permanence ». Depuis l’écriture automatique au « dialogue onirique entre deux interlocuteurs décalés », depuis le pourquoi de la poésie jusqu’à l’haïku nid de cous coupés, en passant par l’autobiographie ou la chasse aux sujets, les multiples entrées de cet immense magasin sont autant d’invitations à la création, d’appels à s’amuser dans la cour de la récréation, parce que « le langage s’apprend d’abord en jouant (en se jouant) ». Et Hubert Haddad d’ajouter : « Les enfants comprennent très vite la consigne et avec une réelle jubilation : on leur demande simplement de recouvrer la liberté, de ne pas se manifester dans la norme. Quant aux adultes, il faudra bien qu’ils retrouvent leur esprit d’enfance ».

    Enthousiasme d’ouvrir la cage. J’ai vraiment jubilé à picorer à droite et à gauche sur les rayonnages du magasin, avant de me laisser emporter dans les ruisseaux ou les cours infinis de recréation. Vas-y, va voir un peu, flâne donc dans les allées et puis…

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    Le nouveau magasin d’écriture - Hubert Haddad - Zulma (2006)


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  • L’autre fille - Annie Ernaux - NIL Éditions (2011)« Écrivez la lettre que vous n’avez jamais écrite ». Telle est la consigne demandée aux auteurs de la petite collection « Les Affranchis ».

    « L’autre fille » est la lettre qu’Annie Ernaux n’aurait jamais pu écrire et envoyer. Elle l’adresse à l’« Autre », à celle qui est morte afin qu’elle-même puisse venir au monde et vivre. Annie Ernaux s’adresse avec puissance à sa sœur décédée deux ans avant sa naissance. Elle ne la connaît pas, elle n’a jamais parlé ni joué avec elle.

    Mais cette sœur dont ses parents ne parlent pas, ce « secret » est bien là, vivant au sein de la famille. Ses parents étaient jeunes et souriants sur les photos avec « l’autre fille ». Lorsque débutent les souvenirs d’enfance d’Annie Ernaux, ce ne sont plus les mêmes. « Il n’y a plus rien de juvénile ni d’insouciant en eux, mais quelque chose d’amorti » (…). ». Elle est là « entre eux, invisible. Leur douleur ».

    Annie Ernaux saisit les instants de la petite fille unique qu’elle a été, les mots lancés par sa mère à une jeune femme « elle était plus gentille que celle-là », pour y ajouter ses propres commentaires, pour y donner du sens. Une très belle lettre, sensible.

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  • Une prière pour Owen - John Irving - Seuil (1989)John est un professeur américain de littérature, immigré au Canada, dont la petite vie tranquille est centrée sur son dévouement pour l’église. S’il est croyant, c’est bien parce qu’il a fait la rencontre miraculeuse d’Owen Meany, son ami d’enfance. Il évoque cette enfance et cette amitié avec nostalgie.

    Owen avec sa taille ridiculement petite, sa voix INCROYABLEMENT ÉRAILLÉE, ses visions possiblement prémonitoires, ses convictions inlassablement mises en pratiques, ses conceptions immaculées, son goût pour la diatribe épistolaire, son don pour le basket et son faible pour la séduisante mère de son ami John qu’il contribue pourtant à faire disparaître prématurément. Owen sait qu’une lourde mission lui incombe. Sera-t-il capable de la mener à bien ?

    Voici de nouveau le monde échevelé de John Irving où l’absurdité des situations peut côtoyer la tendresse des sentiments.

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  • La meilleure façon de grandir - Meir Shalev - Editions des Deux Terres (2004)Raphaël, Raphi, Rafoul, à 52 ans, est arrivé à un âge canonique pour les hommes de sa famille : leur destin est en effet de mourir prématurément par accident. Le souvenir de ces hommes est omniprésent, si ce n’est dans les esprits, au moins sous forme de photos accrochés dans l’escalier. A quand la photo de Raphaël dans l’escalier ?

    Pour retarder l’échéance, les cinq femmes qui l’ont élevé prennent soin de lui et lui évitent toutes tâches dangereuses. Mais quand on vit entre une école pour aveugles, un orphelinat et un asile de fous, cinq paires d’yeux, dix bras et cent doigts qui vous frôlent, qui vous touchent et qui vous cajolent représentent-ils la meilleure façon de grandir ? La fuite vers le désert et vers l’amour est peut-être la voie de la rédemption et la meilleure façon de percer les secrets de ces femmes.

    Meir Shalev utilise un langage simple et fluide, plein d’humour, et nous plonge avec délicatesse entre la Jérusalem des années cinquante et le Néguev d’aujourd’hui.

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  • Enfance - Nathalie Sarraute - Gallimard, Folio (1983)Parvenir en quelques lignes à nous faire respirer les odeurs du désinfectant et de l’encrier de son école, à nous faire sentir sur les joues la neige de la Russie éclatante de ses souvenirs. Nathalie Sarraute remonte le cours du temps pour saisir dans un dialogue sans complaisance avec elle-même toutes les émotions et les sensations de son enfance. Au sommet de son art, elle livre sans fard les mots les plus vivants sur son apprentissage de l’indépendance. Pas à pas, souvenir après souvenir, Nathalie ou Natacha, nous mène jusqu’au seuil du lycée. Elle nous rappelle ce qu’était l’école de la IIIe  République à ses yeux. Cette école du mérite l’élève, la juge en toute objectivité, en fonction d’un seuil de connaissances à digérer. Elle la délivre des souffrances entre des parents séparés, depuis le déchirement avec sa mère restée dans la Russie blanche jusqu’à son ancrage dans le Paris gris, près du parc Montsouris auprès de son père complice et d’une belle-mère insensible et vitupérante… Un roman ? Non, une œuvre écrite au rythme des souvenirs d’une petite fille, un examen minutieux sur les traces de son enfance jusqu’à son ouverture à la vie, jusqu’au détachement des maux familiaux avec des mots inoubliables. Peut-être le mieux est-il de laisser Nathalie Sarraute nous raconter un de ses souvenirs d’école…

    Extraits, p. 165-168

    « La vague odeur de désinfectant, les escaliers de ciment, les salles de classe entourant une cour sans arbres, les hauts murs d’un beige souillé, sans aucun autre ornement que le tableau noir au fond de l’estrade et une terne carte des départements, tout cela dégageait quelque chose qui me donnait dès l’entrée le sentiment, le pressentiment d’une vie…

    − Plus intense ?

    − « Plus » ne convient pas. « Autre » serait mieux. Une autre vie. Aucune comparaison entre ma vie restée là-bas, dehors, et cette vie toute neuve… Mais comment, par où la saisir pour la faire tant soit peu revenir, cette nouvelle vie, ma vraie vie…

    − Fais attention, tu vas te laisser aller à l’emphase…

    − Bon, essayons simplement d’isoler d’abord un de ses instants… en lui seul… permets-moi de le dire… en lui tant de plaisirs se bousculent.(…)

    La maîtresse nous prend nos copies. Elle va les examiner, indiquer les fautes à l’encre rouge dans les marges, puis les compter et mettre une note. Rien ne peut égaler la justesse de ce signe qu’elle va inscrire sous mon nom. Il est la justice même, il est l’équité. Lui seul fait apparaître cette race d’approbation sur le visage de la maîtresse quand elle me regarde. Je ne suis rien d’autre que ce que j’ai écrit. Rien que je ne connaisse pas, qu’on projette sur moi, qu’on jette en moi à mon insu comme on le fait constamment là-bas, au-dehors, dans mon autre vie… je suis complètement à l’abri des caprices, des fantaisies, des remuements obscurs, inquiétants, soudain provoqués (…) Ici je suis en sécurité.

    Des lois que tous doivent respecter me protègent. Tout ce qui m’arrive ici ne peut dépendre que de moi. C’est moi qui en suis responsable. »

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  • Darren Flynn est un bel athlète de 16 ans. Il participe à l’équipe de natation de son lycée et ce sport semble être tout pour lui. Darren est beau. C’est évident, il plaît aux filles mais aussi à son professeur d’anglais, le charismatique Mr Tracy. Et lorsque ce dernier le raccompagne un soir jusque chez lui, ce qui se passe modifie la vie de l’adolescent. Ce qui s’est passé ce soir (mais s’est-il seulement passé quelque chose et quoi ?) bouleverse le cours de la vie tranquille de Darren, tout autant que celle de son professeur (les risques du métier ?) et du lycée tout entier, en se heurtant aux préjugés, aux revanches et aux hypocrisies d’une petite société américaine bien pensante.

    Joyce Carol Oates maîtrise parfaitement le rythme du récit. Elle construit le suspense autour de cette société rétrécie et enchaîne avec brio les portraits. Elle nous fait suivre les pensées d’un lycéen jusqu’au seuil des choix de l’homme en construction. Et ce sont un peu nos yeux qui s’ouvrent parallèlement à ceux de l’adolescent sur son environnement, après « ce qui s’est passé ». Un bon livre qui donne envie d’en découvrir d’autres de Joyce Carol Oates !

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  • Brandon n’est pas un garçon comme les autres. Il sait reconnaître et imiter le chant des milliers d’oiseaux qui traversent la frontière entre le Canada et les États-Unis. Sa mère Jeannette les lui a appris. Elle a cultivé sa créativité et son empathie avec la forêt, les oiseaux et les cours d’eau tandis que Norm, son père, l’honnête producteur laitier, ne parvient pas à comprendre son doux géant de fils. Mais aujourd’hui Jeannette perd la mémoire et son mari peine à maintenir son entreprise alors que tant d’autres ont accepté les conditions plus avantageuses du commerce illégal de la marijuana. Aussi, lorsque Brandon devient agent de la police des frontières, il nous fait entrer de plein pied dans deux communautés de plus en plus éloignées par une frontière invisible.

    Autour des clandestins, du commerce de la drogue et de la guerre au terrorisme, Jim Lynch nous dresse dans un tableau pointilliste les interrogations d’individus tenaillés entre leur conscience et leurs soucis matériels au sein d’une nature qu’ils pourraient ne plus voir si Brandon ne savait la leur peindre.

    Avec son écriture limpide, Jim Lynch nous fait survoler à vol d’oiseau la frontière de ces communautés. Un regret : nous aimerions nous poser un peu plus longtemps sur la branche pour comprendre ces hommes et ces femmes mais l’auteur nous a déjà fait prendre notre envol en nous laissant un léger manque de rien du tout…

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  • La nuit sauvage - Terri Jentz - Denoël (2011)Un témoignage-enquête bouleversant. Terri Jentz avait demandé conseil auprès d’un écrivain qui lui avait dit que tous les matins lorsqu’il commençait à écrire il cherchait à être plus sincère que la veille. Et Terri Jentz a tenu le pari.

    Jeune et brillante étudiante de Yale, elle décide avec une amie de parcourir en vélo les Etats-Unis d’ouest en est. Nous sommes à l’été 1977, les temps sont à la recherche d’expériences et d’épanouissement personnels. Mais leur parcours initiatique s’achève au bout d’une semaine lorsqu’elles sont sauvagement agressées une nuit par l’homme à la hache. Terri Jentz est restée consciente du moindre des faits de cette « nuit sauvage » et elle décide quinze ans plus tard de retourner sur les lieux. Elle se rend alors compte que tout le monde semble savoir qui est le coupable …

    Terri Jentz est une scénariste et cela se sent dans la présentation de son enquête méticuleuse que nous suivons pas à pas, à la rencontre de tous les témoins, habitants et proches du peut-être coupable. Mais Terri Jentz nous apporte aussi les témoignages de femmes sur le processus qui se met en place dans les violences qu’elles peuvent subir au sein ou en dehors des couples. Terri Jentz dépasse le simple témoignage pour décrire la société américaine d’un État rural et ses des réactions face à la violence.

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  • Marguerite, Françoise et moi - Danièle Saint-Bois - Julliard (2009)Je ne connaissais pas Danièle Saint-Bois et après l’avoir lu, j’ai voulu découvrir tout ce qu’elle avait écrit… mais j’ai été vite déçue car elle reste inaccessible en librairie. Pourquoi faut-il aller en bibliothèque pour dénicher une si bonne écrivaine ?

    Oui, Danièle Saint-Bois est une écrivaine qui se trouve en panne depuis presque trois ans, dans sa petite ville du sud-ouest de la France, Rabourgris. Elle vend aussi le pain dans une boulangerie le week-end. Et ce livre est tout autant une description truculente des clients et du commerce si spécial de la boulangerie que celle d’une survie dans la lecture et l’écriture derrière la farine sur les mains et le succulent poulet du dimanche.

    Danièle Saint-Bois sait miraculeusement nous donner l’envie de découvrir ou redécouvrir d’autres écrivaines, Françoise et les deux Marguerite mais aussi Joyce Carol Oates, tout en dévoilant les miracles et les désespérances de la vie, de la maladie et de l’amour. Et puis quel régal de lire les critiques acerbes contre notre cher président, le NSP (Nico Sarko Premier). On trouve si rarement cette acidité dans les romans le plus souvent apolitiques et aseptisés. Ici, non, on retrouve justement toutes nos colères, au début de ce quinquennat qui n’en finit pas, lorsque notre tension montait en allumant la radio, quand nous nous énervions seuls dans notre cuisine après ces médias qui s’aplatissaient devant sa suffisance. Danièle Saint-Bois ose. Elle écrit ses énervements et nous approuvons et en redemandons. Un merveilleux livre que j’ai dévoré comme une baguette croustillante.

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  • Arthur et George - Julian Barnes - Mercure de France (2007)Où l’on suit les parcours parallèles d’Arthur, un jeune Anglais bien né, talentueux et destiné au succès et celui de Georges, le fils également anglais d’un pasteur parsi, honnête mais malchanceux qui se trouve accusé d’un crime. Et lorsque la victime de l’erreur judiciaire se trouve aidée par le père de Sherlock Holmes, vous vous trouvez aux premières loges de la vie d’un illustre écrivain anglais au tournant du XXè siècle. Surtout, vous êtes immergé dans une affaire Dreyfus à l’anglaise tout en suivant les principes et hypocrisies de la société victorienne et de son empire, dont les descendants sont Anglais sans jamais l’être totalement aux yeux des habitants des petites bourgades enkystés dans leurs préjugés.

    Un livre bien écrit qui alterne les vies des deux protagonistes Arthur et Georges, les laisse calmement s’installer dans cette société anglaise bien pensante avant de mettre en présence ces individus si éloignés l’un de l’autre.

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  • Les belles choses que porte le ciel - Dinaw Mengestu - Albin Michel (2007)Un jeune éthiopien qui a fui la révolution dans son pays vit ou plutôt survit en tenant une petite épicerie dans un quartier pauvre de Washington. Cette ville si proche d’Addis-Abeba se mêle dans les souvenirs de Sépha Stéphanos, entre la vie là-bas, le départ et l’arrivée de l’émigrant et son installation-séparation des siens ici.

    Puis le temporaire s’éternise. On suit alors les échanges de Sépha avec ses deux amis africains et sa rencontre avec une petite fille et sa mère nouvellement installés. On s’abandonne aux pensées, digressions et questions de Sépha et on se laisse complètement séduire et emporter par « les belles choses que porte le ciel ».

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  • Le silence des filles. De l’aiguille à la plume - Colette Cosnier - Fayard (2001)Ce livre d’histoire nous dévoile les silences des femmes dans la création littéraire. Pourquoi les femmes du XIXème siècle jusqu’au milieu du 20ème siècle n’écrivent-elles pas ? A travers les journaux intimes d’une dizaine de femmes et les livres de classe et d’éducation pour jeunes filles, Colette Cosnier analyse le conditionnement et l’enfermement des femmes dans une nature « féminine » qui doit les éloigner de la recherche effrénée de la gloire, du péché capital de l’orgueil, de toute imagination et créativité, pour les maintenir dans l’obscurité de leurs rôles d’épouses, de mères, de ménagères et de soignantes au service des autres. Colette Cosnier démontre les obstacles que doivent dépasser les femmes qui veulent écrire ou créer, pour s’affranchir de cette destinée de sacrifice qui leur est assignée.

    Très documenté, le silence des filles se lit avec une extrême facilité. Il nous donne envie de crier et surtout de ne pas abandonner la plume, voire de la conquérir encore et encore, pour dire nos mots, et non ceux qui sont attendus des femmes.

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  • Bye Bye Blondie - Virginie Despentes - Grasset, Poche (2006)Une histoire d’amour à la Despentes. Quand une jeune punkette rencontre l’amour dans un hôpital psychiatrique, on se doute que ce ne sera pas simple. Mais c’est une histoire d’amour absolu, partagée dans l’underground et le parallèle. Jusqu’à ce que la famille aisée d’Eric ne le rattrape et ne l’envoie loin, que leurs routes ne se séparent. Et voilà que tous deux se retrouvent 20 ans plus tard, à Nancy. Peut-on alors croire à nouveau à l’amour entre deux êtres si différents socialement mais pourtant si proches en esprit.

    Virginie Despentes, comme toujours, se dénude avec sa sensibilité, montre les blessures de cette jeune fille mais aussi ses espoirs, cette soif d’absolu qui manque tant dans notre société. J’ai aimé cette jeune fille paumée mais vraie, cet amour. Il semble toujours y avoir un sentiment d’insatisfaction à la lecture de ses livres, comme s’il manquait un petit quelque chose qu’on attend encore, mais Virginie Despentes sait parler sans fard, et cela fait vraiment du bien.

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  • Comme un roman - Daniel Pennac - Gallimard (1992)Le droit de ne pas lire, le droit de lire n’importe quoi, le droit de sauter des lignes, le droit au bovarysme… Daniel Pennac nous ouvre au droit et non au devoir de lire, et rappelle que lire est avant tout un plaisir. On lit plus contre, pour s’opposer que pour, par obligation.

    Daniel Pennac nous questionne avec ce livre plein d’autodérision et d’empathie : pourquoi l’enfant qui était si attentif aux livres qu’on lui lisait, à cette heure du conte le soir ne prend plus plaisir ensuite à lire, pourquoi ce plaisir est devenu contrainte. Il nous invite à travers cet essai très fluide, qu’on lit comme un roman, à reprendre le plaisir de lire à haute voix. Ainsi nous dépeint-il un prof de littérature qu’on aurait aimé connaître, qui lisait les livres à ses étudiants en les commentant… tous avaient lu l’ouvrage avant la séance suivante tant ils voulaient en connaître la suite. Un livre réjouissant pour se réconcilier avec la lecture.

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  • Rien ne s’oppose à la nuit - Delphine de Vigan - JC Lattès (2011)A travers le portrait tout en finesse de sa mère atteinte de troubles bipolaires, c’est tout un groupe familial qu’a interrogé Delphine de Vigan. Famille nombreuse, famille heureuse mais aussi détentrice de multiples drames.

    Ce sont en effet des drames non dits des sentiments oubliés que Delphine de Vigan fait remonter avec une extrême sensibilité dans ce roman sombre mais aussi joyeux. En effet, on entre au sein de cette famille vivante, où personne ne peut oublier une grand-mère qui réalise sa promesse de faire le grand-écart dans un justaucorps à paillettes le jour de ses 70 ans. Si « rien ne s’oppose à la nuit », si rien ne justifie, comme nous le chante Bashung, il existe aussi un jour lumineux dans cette attention et ces moments joyeux entre frères et sœurs au milieu de cette famille élargie, dans cette période prometteuse et non-conformiste des années 1970. J’ai pris ce livre dont la belle couverture, la photo d’une femme que j’imagine être Lucile, la mère de Delphine de Vigan, capte toute la lumière et vous hante à l’approche de la nuit. Magnifique.

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