• V comme Ventail - mai 2012

    C’est au 19 rue des bons-enfants… J’y suis revenue et rien n’avait changé ou si peu… La façade blanchie devenue grisâtre et les pierres de plus en plus apparentes… le passé remontait le long des gouttières, les racines remontaient sur le mur pour alimenter chacune de ces fenêtres qui parlent des courants d’air de leurs habitants.

    J’ai humé l’air… et à la fenêtre entrouverte du premier la brise a fait frémir le linge étendu, les serviettes suspendues, les bavoirs accrochés. La famille Lafranchi s’était encore agrandie… des petits-enfants étaient là, des cris, des rires se répercutaient de l’appartement à la cour. La belle-fille Lanfranchi, celle qui avait épousé l’aîné, Victor, le préféré, et qui semblait avoir tant de mal à se faire accepter dans la tribu avait repeint les fenêtres… De la cour on sentait encore la peinture et on voyait le blanc tranchant sur le gris de la façade. La belle-fille Lanfranchi, Isabelle, que j’avais trouvé vingt as plus tôt sur le seuil du premier étage, en pleurs, mise à la porte par sa belle-mère, semblait avoir trouvé sa place dans la famille.

    Les plus petits dormaient dans la pièce à côté ; la fenêtre à demi ouverte, le rideau fermé, aspiré à chaque petit coup de vent… ils ne sont pas gênés par les rires et les cris, les courses dans le couloir, ils dorment…

    A l’étage du dessus, ce sont Mr et Mme Marchelli qui font la sieste aussi. Les vieux volets, les mêmes volets rouillés qu’il y a vingt ans, sont là… Mr Marchelli est chargé de leur ouverture et de leur fermeture. Mr Marchelli sur sa canne, déjà à l’époque, et toujours là… attentif aux petits pas de sa femme, silencieux et aimant. Mr et Mme Marchelli restés sans enfants, le petit Simon mort dans un accident, aiment entendre en dessous les gamins courir dans les couloirs. Les petits montent l’escalier tous les jours à cinq heures précises pour aller chercher chez Mme Marchelli les bonbons acidulés qu’elle garde dans sa soupière, mêlés aux colliers de pâtes et empreintes de mains en argile de Simon…

    Et puis, au troisième étage, il y a la Saporta, celle à qui personne ne parle dans l’immeuble. Elle doit avoir cinquante ans maintenant. Les petits murmurent sur son passage : « c’est elle, la sorcière… chuuut ! cache-toi parce que si elle te voit, elle te jettera un sortilège ! ». La Saporta ne sourit pas, elle passe devant les enfants tapis dans l’ombre, elle monte le grand escalier, lentement, en s’agrippant à la rampe…

    Mr et Mme Marchelli disent que c’était une putain avant, qu’elle recevait plein d’hommes différents, tout le temps… moi je l’aimais bien la Saporta, parce qu’elle m’avait accueilli un jour, à 15 ans, elle m’avait parlé des hommes comme personne ne m’en avait parlé, elle m’avait parlé de la vie qu’elle connaissait avec toutes ses bosses, ses cabosses. Ma fée carabosse me disait de garder toujours mes rêves, de ne jamais croire à la réalité dont tout le monde parlait… Elle était différente la Saporta. C’est elle que je viens voir aujourd’hui, vingt ans après… au troisième étage du 19 rue des bons-enfants.

    J’aime les fenêtres, elles parlent, elles vibrent et se cassent. Elles s’ouvrent sur l’extérieur, comme celle du dernier étage qui vient de claquer sur la façade, alors même que les murs restent silencieux, refermés sur eux.

    BBLR


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