• J comme Jouet - janvier 2012

    Elle était si belle. Elle avait un visage parfait, fin, avec ses longs cils noirs, ses yeux bleus, profonds, et ses anglaises tombant le long de ses joues délicatement rosées.

    Elle se tenait admirablement droite, dans sa robe bordeaux (avec de la dentelle noire si je me souviens bien), douce, soyeuse, si douce…

    Je l’admirais sur le lit de Mamie Marie. Mamie Marie n’était pas ma mamie mais ma vieille voisine, toute ridée, ma mamie adorée.

    Dès que je sortais de l’école, je me précipitais chez elle. Elle me serrait contre elle. Je m’enfonçais dans ses chauds replis. Elle m’offrait le goûter et elle me racontait son enfance près du Zoo de Marseille. Puis suivant un cérémonial immuable, elle m’emmenait voir SA poupée. Cette poupée, elle ne l’avait pas eu dans son enfance. Non, elle n’avait pas eu grand-chose dans son enfance !

    Cette poupée magnifique, c’est son mari qui la lui avait offerte, tant il l’aimait comme elle disait. Son mari était mort depuis longtemps déjà, mais son mari qui l’aimait tant, c’était tout pour Mamie Marie. Elle m’emmenait alors voir la poupée dans la chambre au fond du couloir. Avant nous passions devant la maquette de la maison qu’elle partageait avec son mari, il y a longtemps, avant de se retrouver dans ce tout petit appartement au cinquième étage d’une cité quelconque. La maquette du mas des Rivaro c’était quelque chose. Je la voyais cette grande maison dans une pinède. Il y avait les marches en calcaire, les pins parasols et on pouvait deviner le soleil, la lumière. Et j’apercevais Mamie, toute jeune, radieuse près de son mari. Mais Mamie Marie m’emmenait plus loin. Là, dans sa chambre au fond de l’étroit couloir, elle n’emmenait que moi, c’était notre secret. La poupée trônait sur le lit. Je rêvais de la prendre dans mes bras, mais c’était la poupée de Mamie Marie et de son mari. Il était impensable de la serrer contre moi. Je n’avais que le droit de toucher le bas de sa robe. Je n’aurais pas pu la plier comme mon vieux chien en peluche qui servait tant à passer mes colères qu’à sécher mes larmes et à recueillir les secrets. Le vieux Samuel qui n’avait presque plus d’oreilles, avec son poil rêche, ne pouvait pas se comparer à la poupée de Mamie Marie. Le vieux chien était mou, doux et il entendait tout, il savait tout. Il était mon abri. La poupée de Mamie Marie, elle était mon envie, mon initiation au monde ancien, le lien. Elle était au bout du couloir, inaccessible. Elle était déjà demain.

    BBLR


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