• Moïse Lévy et Gray

    Au cours de folles journées de rangement, les entrailles d’une armoire nous ont révélés des lettres, coupures de journaux et photos de notre arrière-grand-père, Moïse Lévy. Des documents familiaux, mais aussi des documents d’histoire à partager…

    - Qui était Moïse Lévy ? Deux articles de la presse de Gray, lun publiés en 1970 et lautre en 1980, reviennent sur le parcours de Moïse Lévy, maire de cette ville et sénateur de la Haute-Saône.

    - Un de ses fils, Lucien, rédige en 1965 un document présentant certains maires de Gray, et plus spécifiquement Moïse Lévy.

    - La lettre écrite en 1941 par Moïse Lévy au Maréchal Pétain pour protester contre sa destitution du mandat de sénateur… pour cause de judéité.

  • Larticle suivant paraît dans La presse de Gray datée du 17 janvier 1970.

     

    Les rues de la ville. Qui est-ce ? Moïse LÉVY (coupure de presse)Les rues de la ville. Qui est-ce ? Moïse Lévy, 1970

    Les illustres personnalités grayloises dont on a donné le nom à certaines rues de la ville (Louis Jobard, Augustin Cournot, Moïse Lévy, etc) sont en général peu connues, principalement chez les jeunes.

    A leur intention nous publions dans les colonnes de « La Presse de Gray » sous la rubrique « Qui est-ce ? » un portrait-flash sur chacune de ces personnalités.

    Aujourd’hui : Moïse Lévy.

    Moïse LEVY, né à Gray le 12 avril 1863, décède à Paris le 24 février 1944, Conseiller municipal de Gray depuis 1892, il fut élu Maire en 1912, Conseiller général en 1920, Vice-Président au Conseil Général de la Haute-Saône, Sénateur de la Haute-Saône en 1935.

    Il avait, dès cette époque, pressenti l’évolution de la société agricole vers la Société industrielle moderne, la nécessité de l’entraide sociale, l’importance du tourisme.

    Son action tendit à créer à Gray des activités et des bases destinées à faciliter la mutation économique et sociale de la ville au cours de ce XXme siècle.

    INDUSTRIE :

    Il amena dans l’actuel district de Gray plusieurs industries dont certaines existent encore, le Tissage Sauvegrain, l’I.R.C.B., les Usines Gouvy sur les terrains desquelles sont installés les Etablissements Mischler et Coste, la Centrale électrique reprise par Electricité de France. 

    ŒUVRES SOCIALES :

    Le Refuge Maternel de l’Est, sa Pouponnière et sa Maison d’enfants fut l’œuvre à laquelle il attacha son nom ; l’Hôpital de Gray l’a reprise en 1961 ; et, sur une partie de son parc, une école maternelle est en cours de construction. Le dispensaire anti-tuberculeux vit le jour sous ses auspices ; il développa l’Hôpital de Gray et l’Hospice de Vieillards Cournot-Changey, dont il fut l’un des fondateurs.

    TOURISME :

    Il fut le premier Président du Syndicat d’Initiative de Gray et l’un des fondateurs de la Fédération des Syndicats d’Initiative de Franche-Comté et des Monts-Jura.

    Il créa la plage de Gray, développée et modernisée par ses successeurs.

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    Il laissa à sa ville natale la marque de son travail et le souvenir de l’amour qu’il lui portait. Il ne l’abandonna jamais, même aux tristes heures de juin 1940, lors de la prise de la ville par les troupes Allemandes. Son attitude à cette époque fut, en tous points, exemplaire.

    Le 15 juin vers 6 heures du matin il fut appelé par le colonel allemand, place du 4-Septembre et y reçut l’envahisseur.

    Le 16 juin, alors que les Allemands avaient interdit aux pompiers de Gray de continuer à lutter contre le feu sous prétexte que l’on manquait d’eau, M. Lévy, sous sa responsabilité, donna au Capitaine Pélot, commandant les Sapeurs - Pompiers, l’ordre écrit de continuer à éteindre les incendies que les obus incendiaires avaient provoqués partout.

    Chassé de toutes ses fonctions d’ordre des Allemands qui jugeaient absolument indésirable sa présence dans la ville et la région qui l’avaient élu maire et sénateur, puis expulsé de sa maison, après un séjour, 18 rue des Casernes à Gray, il regagna son appartement parisien rue Daubigny.

    Il y resta sans interruption jusqu’à son décès en 1944, dans sa 81me année quelques mois avant la Libération, et après que la Gestapo fut venue le chercher par deux fois et eut renoncé à son arrestation en raison de son état de santé.

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    (La rue Moïse Lévy, anciennement rue du Magasin à fourrages, relie la place des Tilleuls au carrefour Ste-Anne).


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  • Hervé Maurey, arrière-petit fils de Moïse Lévy, écrit dans La presse de Gray daté du 19 septembre 1980 l’article suivant. Hervé Maurey deviendra sénateur de l’Eure en 2008.

    Un graylois illustre MOÏSE-LEVY (1863-1944) (coupure de presse)Un graylois illustre Moïse Lévy (1863-1944), par Hervé Maurey, 1980

    - Ancien Maire de Gray (1912-1940)

    - Ancien Conseiller Général de Gray (1919-1940)

    - Ancien Sénateur de la Haute-Saône (1935-1940)

         Il y a 40 ans Monsieur Moïse Lévy destitué de ses fonctions et expulsé de chez lui par les allemands se voyait contraint de quitter sa ville natale pour Paris où Il devait y mourir. Les plus anciens graylois se souviennent encore, non sans émotion, de celui qui fût leur élu pendant près de 50 ans. Mais les plus jeunes ? Moïse Lévy n'est bien souvent pour eux qu'un nom de rue ou de groupe scolaire. C'est pourquoi il est bon de rappeler la vie d'un des personnages les plus marquants de notre histoire contemporaine.

     

         Né le 12 avril 1863, Moïse Lévy est dès 1894, à l'âge de 31 ans, élu Conseiller Municipal de sa ville natale. En 1912 à la veille de la guerre il est élu Maire de Gray et le restera, avec seulement une brève interruption, jusqu'à la seconde guerre mondiale.

         Lorsque la guerre de 1914 éclate le Maire de Gray rejoint le 52° Territorial d'Infanterie dans les Vosges. Démobilisé pour raison de santé et nommé Lieutenant Honoraire d'infanterie il regagne alors sa ville.

         Grâce a lui, Gray. bien que située dans la zone des armées, sera régulièrement ravitaillée. C'est ainsi qu'avec le matériel agricole de la ville. il assure la récolte non seulement des terres de la commune mais aussi de celles des mobilisés afin qu'aucune récolte ne soit perdue.

         En même temps il s'efforce dès cette époque d'assurer la modernisation de l'économie grayloise par l'implantation d'industries. Sous son impulsion s'installent à Gray les tissages Sauvegrain. L'I.R.C.B., les usines Gouvy ainsi qu'une centrale électrique que reprendra l'E.D.F.

         Le cadre de vie n'en fût pas pour autant délaissé, Moïse Lévy disait de sa ville natale: « Gray la Jolie », et s'employait à ce qu'elle soit telle. Il fit restaurer le magnifique toit de l'Hôtel de Ville de Gray et le théâtre. Le musée Baron-Martin reçut une impulsion nouvelle, son installation fût parfaite et ses collections enrichies par les nombreux dons qu'il obtint, dont celui de son ami Pigalle à qui l’on doit la remarquable collection de Prud’hon. D'un point de vue plus touristique, il convient de rappeler que c'est lui qui créa la plage de Gray ainsi que le Syndicat d'initiative de Gray dont il fût le premier président. Il fût, en outre l'un des fondateurs de la Fédération des Syndicats d'initiative de Franche-Comté et des Monts-Jura.

         Mais là où son action fût sans aucun doute la plus remarquable, c'est sur le plan social. Moïse Lévy estimait, en effet, que la solidarité sociale devait dépasser celle prévue par la loi. C'est ainsi que toute sa vie il vint en aide à ceux qui en avaient besoin. S'il est impossible de citer tous les secours individuels qu'il fournit, toutes les pensions et toutes les aides qu'il versa, il convient tout du moins de rappeler les principales œuvres sociales dont il fût le fondateur.

         Ainsi à une époque où les filles-mères étaient nombreuses et rejetées par la société, il fonde sur un terrain lui appartenant, le Refuge Maternel de l’Est, lequel doté d'une importante pouponnière recueille les mères et les enfants, luttant ainsi contre les abandons d'enfants et la mortalité infantile.

         Il crée grâce à des subventions personnelles des cantines scolaires gratuites et un bureau d'aide aux enfants issus de familles dans le besoin afin que ceux-ci puissent aller à l'école.

         Enfin il fonde le dispensaire anti-tuberculeux et participe à la création de l'Asile Coumot-Changey dont il sera l'administrateur.

         Ces 50 années de dévouement lui valent d'être fait Chevalier de la Légion d'Honneur, Officier de l'Instruction Publique et Commandeur du Mérite Social.

     

         A sa tâche de Maire viendra s'ajouter dès 1919 celle de Conseiller Général du canton de Gray, puis en 1931 celle de Vice-Président du Conseil Général de la Haute-Saône.

         Enfin en 1935, avec André MAROSELLI et le président du Sénat Jules JEANNENEY comme colistier, Moïse Lévy est élu Sénateur de la Haute-Saône. Désormais parlementaire, il dépose de nombreuses propositions qui deviendront des lois, portant ainsi au plan national l'action menée jusque là au niveau local.

         En 1940, lorsque survient le deuxième conflit mondial, cet homme de près de 80 ans se partage avec une vitalité étonnante entre le Sénat, le Conseil Général, la mairie de Gray et les Oeuvres Sociales dont il est Président.

         Le 15 juin les allemands entrent dans Gray. Resté à son poste Monsieur Moïse Lévy qui n'avait que 7 ans lorsque les prussiens envahirent Gray en 1870, a cette fois le triste devoir de recevoir l'occupant.

         Vers 21 h. 30, le Général allemand convoque Monsieur Lévy place du 4-Septembre, « Vous youde » demande-t-il, question à laquelle le Maire de Gray répond par l'affirmative. Ainsi commencent les difficiles rapports du Sénateur-Maire avec l'occupant, lesquels ne feront que se dégrader.

         Le 17 juin, le feu qui sévit depuis la veille atteint l'église. Les pompiers commencent à lutter contre l'incendie lorsqu'un sous-officier allemand donne l'ordre de cesser d'arroser sous prétexte qu'il manque de l'eau à l'hôpital. Ayant constaté qu'il n'en est rien, Monsieur Lévy tire une carte de visite de sa poche et écrit : « Moïse Lévy donne l'ordre, sous sa responsabilité personnelle, de continuer à lutter contre l'incendie ».

         Les allemands s’inclinèrent mais jugèrent dès cet instant sa présence indésirable à la tête de la ville dont il était l'élu depuis 1894.

         Le 20 juillet 1940 sur ordre des allemands, le Préfet de la Haute-Saône le relève de ses fonctions. Quelques jours plus tard les allemands lui donnent l'ordre de quitter sa maison en y laissant le mobilier, le linge et la vaisselle.

         Chassé de ses fonctions et de sa maison à 77 ans, il reste cependant à Gray jusqu'au mois d'octobre. Il part ensuite pour Paris où la gestapo viendra à plusieurs reprises le chercher mais devra y renoncer en raison de l'état de santé dans lequel l'ont plongé tant d'épreuves, la dernière étant la déportation du plus jeune de ses fils.

         Il meurt à Paris le 24 février 1944. Selon ses dernières volontés et dès que les circonstances le permirent, son corps fût ramené à Gray, la ville où il naquit, la ville à laquelle il consacra sa vie mais où il ne pût même pas mourir.

     

    Hervé MAUREY


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  • Les maires de Gray ont été décrits par Lucien LA RUCHE en 1965. Il dépeint essentiellement le portrait de son père, le sénateur-maire Moïse LÉVY.

    L’exemplaire numéro 5 est dédié à son fils Francis et l’exemplaire numéro 10 à sa femme Germaine qu’il surnommait Cricri.

     

    CONTRIBUTION à L'HISTOIRE de GRAYLes maires de Gray par Lucien La Ruche, 1965

    (déposé à la Bibliothèque Municipale de Gray)

    SILHOUETTES de MAIRES de GRAY

    1900 - 1940

    vues par Lucien LA RUCHE

    tiré en 12 exemplaires n°s de 1 à 12

    1965 

     

         Vous trouverez ici des souvenirs, jetés sur le papier de mémoire, sans documents (1). Si vous leur accordez un quelconque mérite, ils le doivent au recul du temps, qui apporte détachement et impartialité.

         Il y avait vers 1900 à Gray deux partis politiques ou deux tendances d'esprit : réformiste et réactionnaire, d'à peu près égale force. Entre eux, les indépendants qui n'étaient inféodés à personne et qui en somme faisaient la majorité ; selon leur vote, ils apportaient la décision. Dans les élections, il fallait "mettre la main sur le flottant", dixit Couyba qui était un maître-manœuvrier.

     

         Le Docteur Maurice SIGNARD était le type du républicain sincère, d'aspect un peu sévère. Foncièrement honnête et loyal.

         Par doctrine, il voulait le développement de l'instruction publique. Sur le plan local, il fut aidé par an ami de toujours, Moïse LEVY, qui négocia pour la Ville, l'achat de la propriété Watelet où fut créée l'Ecole Supérieure de filles, ainsi que l'acquisition du Château où fut installé le Musée. Les adversaires de Moïse Lévy ne manquaient pas d'insinuer qu'il y avait un intérêt ; or, Moïse Lévy ne tira jamais profit d’aucune opération avec une quelconque administration. Les mêmes, dans leurs polémiques, traitaient Signard de Sectaire ; et Moïse Lévy le défendit vigoureusement dans des articles signés Biaise des Perrières.

     

         A la mort de Signard, Couyba, sénateur, considéra l’arrondissement de Gray comme son fief. L'administration préfectorale était à sa dévotion. Les comités qu’il formait étaient composés d’amis manquant d’envergure, mais tout dévoués à sa personne. Charles Couyba était .un poète délicat et un chansonnier de talent ("Manon, voici le soleil…", sous le pseudonyme de Boukay) ; ses vers étaient mis en valeur par une musique charmante de Paul Delmet. Ayant le goût du théâtre et de la mise en scène, il voulut dans la politique locale jouer au dictateur : les "comitards" choisissaient les candidats aux élections, même aux élections consulaires.

         C'est ainsi que Fernand RAGALLY devint maire de Gray. Ragally, qui était député, avait un abord franc, mains tendues, prêt à trinquer et à transmettre les sollicitations au grand patron. La formule de l’époque était : le "droit" pour tous et les faveurs pour les amis ; souvent les régimes changent, les méthodes restent et les systèmes ne varient guère.

         Les électeurs moyens se reconnaissaient en lui et il pouvait sincèrement leur dire : "en votant pour moi, vous votez pour vous". Aimé à la campagne, où il y était bien connu de par sa profession de vétérinaire, il y était plus suivi qu'en ville. Il n’a jamais posé pour un maître d'éloquence ; à une réunion au théâtre, où Couyba n'arrivait pas à se faire entendre, Ragally reprenait son leit-motiv : "tout un chacun il faut qu'il puisse parler” ; et Couyba de hurler : "je ferai votre bonheur malgré vous”. But honorable, mais combien difficile à atteindre.

         Comme maire de Gray, Ragally fit ce que faisaient alors les maires des petites villes avec les subventions de l'Etat : un hôtel des Postes et un nouvel abattoir.

         Le règne de “la coterie”, comme on disait aimablement alors, ne pouvait s'éterniser. Couyba c'était fait nommer Conseiller général de Gray ; il avait demandé à son ami Fernand de faire l'échange de son canton rural contre celui de Gray ; mais Ragally n'accepta pas : il repoussa vertueusement son offre, ne voulant pas lâcher le sûr pour l'incertain.

         Moïse Lévy, alors évincé du conseil municipal, fut poussé à l'action notamment par Drouot, avocat de talent qui cherchait la bagarre pour gagner un siège au Parlement (2). Moïse Lévy décida de se présenter au Conseil Général de Gray contre Couyba. Il faillit le battre. Du moins, les résultats des élections de la Ville de Gray lui donnèrent des espoirs pour les élections municipales. Il constitua une liste d'union des intérêts Graylois : c'est ainsi qu'avant 1914, il fit passer une majorité de sa liste et devint maire de Gray.

     

         Moïse Lévy resta maire jusqu'à la seconde guerre mondiale avec quelques éclipses dues à des haines partisanes, et à des coalitions de toutes nuances. Les passions et les ambitions politiques n'ont rien à faire avec le bien public. De même, au conseil général où il avait été élu.aprés la guerre, il connut la disgrâce pendant un mandat, ayant été battu par le docteur Jacquot : il dut "en avaler des couleuvres” !

         Il y a eu donc deux maires de Gray "de passage" occasionnels ou épisodiques, si vous le préférez.

         FAIVRE, directeur de l'Ecole communale, a laissé la réputation d’un homme probe et honnête.

         Couyba avait abandonné l’enseignement pour la carrière politique ; un ancien directeur d'Ecole, Philippe avait bien tenté de se jeter dans la politique. Et pourquoi cas moi, pouvait-il se dire ? Ses adversaires (qui n'en a pas ?) l’appelaient le mandarin, parce qu'il était fonctionnaire, entouré de fonctionnaires, soutenu par des fonctionnaires. Mais diriger correctement une école ne donne pas nécessairement les qualités de dynamisme qui sont nécessaires pour réveiller une ville endormie dans les souvenirs de son passé.

         CHATEAU, était un homme d'aspect pacifique et s'occupait de sociétés locales, notamment de musique. Il menait ses propres affaires, avec difficultés et rien ne le prédisposait à la conduite des affaires publiques. Effacé, il n'avait pas de grands desseins.

     

         Avant, pendant et après la guerre de 1914, MOISE LEVY, maire de Gray voulait être équitable avec tous ses concitoyens, qu’elle que soit leur opinion. Il avait comme amis, aussi bien un ouvrier socialiste comme le fontainier de la Ville Tholy que le curé de Gray Louvot, d'un libéralisme éclairé ; il eut des fidèles comme Brocard, Butaud, le docteur Brusset, Jules Pichat et bien d'autres.

         Pour lui, être maire, c'était être le premier serviteur de la cité et en même temps, un animateur. Il eut des collaborateurs actifs : comme adjoints Georges Bresard, d'une vieille famille Grayloise (3) et Louis Cardon, qui s‘était fait lui-même ; comme agents voyers, Claude Pavet, puis Claudon ; comme secrétaires de mairie : Collot puis Benoit. A la Caisse d'Epargne : Coudry. Au refuge : Mme Pralon.

         Il disait "Gray La Jolie" et il la voulait telle. Il veillait à la propreté des bâtiments et des rues (le toit de l'Hôtel de Ville fut restauré et le théâtre rénové) ; une plage sur la Saône fut aménagée ; et il voulait apporter à sa ville natale des éléments de prospérité.

         La question de l’enseignement, de son développement se posait toujours à l'époque. Ce problème intéressait particulièrement Moïse Lévy : il aurait pu en effet être professeur, ayant obtenu le certificat de Cluny (sciences) (4), certificat qu’avait par exemple son ami Deckerr, excellent professeur de mathématiques au collège. Disciple de Jules Ferry, il était dévoué à l’école publique, qu'il voulait absolument neutre, du point de vue politique et religieux. Aimant les libertés, y compris la liberté de l'enseignement, il les voulait pour tous : il considérait que l’enseignement religieux, hors de l’école, dépendait uniquement de la volonté des parents et était de la seule compétence des prêtres.

         Il fit agrandir l’Ecole Edmond Bour et créa des Ecoles maternelles. La question du collège ne se posait pas : son effectif étant très réduit : il n’était pas mixte alors et il y avait peu d’élèves venant de la campagne ; son agrandissement est devenu nécessaire après la libération en raison de la vague croissante de la natalité et du besoin d'instruction ressenti dans tous les milieux.

         Le musée "Baron Martin de Gray” reçut une impulsion nouvelle. Son ami Pigalle, ancien Préfet, petit-fils du Baron Martin de Gray se passionna avec le maire, pour parfaire son installation ; il donna une collection de Prudhon (peintre qui vécut quelques années à Rigny) et des impressionnistes amis de lui-même et de Besnard. D’autres Graylois léguèrent au musée des peintures et du mobilier ancien, notamment Mme Billardet, Melle Petiet etc. ; le tout fut mis en valeur dans ce cadre magnifique. Moïse Levy fut aidé par des conservateurs dévoués : Roux, artiste-peintre, Emile Weber professeur de dessin au collège, puis Camille Rochard, bibliothécaire et professeur de latin au collège.

     

         Moïse Levy avait un esprit clair, des idées pratiques et l'expérience des affaires. Avec opiniâtreté, il travailla au développement industriel de Gray, étant persuadé d’ailleurs que le progrès économique conditionnait le progrès social.

         Il ne ménagea pas ses efforts pour installer à Gray des usines à une époque où les hommes politiques n’étaient guère axés sur ce problème : c’était le temps où Couyba, homme de lettres, avait été promu ministre du commerce, par la grâce de Caillaux.

         Moïse Levy aida pendant la guerre de 1914 Félix Gouvy, de Dieulouard, à s'installer à Gray. Il décida Sauvegrain de Roanne à créer un tissage, puis l’I.R.C.B. de Saint-Vit à faire des ateliers aux Magasins Généraux. A la place du moulin qui brûla, il fit une centrale électrique.

         Il rédigea une notice illustrée et traduite en anglais pour souligner les avantages qu’offrait Gray pour des fabriques de transformation, des entrepôts et commerces de réexpédition. Après son échec pour le passage par Gray de la ligne ferrée de Simplon, tous ses espoirs s’étaient portés sur la Saône. Gaston Gloriod, polémiste ardent, se moquait et disait : "Moïse croit avoir créé la Saône". Il y voyait la voie de notre salut.

         S’il avait vécu après la seconde guerre mondiale, il aurait porté ses efforts de propagande sur l’axe fluvial du Rhône au Rhin par la Saône, reliant la méditerranée à la mer du Nord, en s’associant aux hommes clairvoyants de notre région, tels qu’Edgar Faure et Jeanneney, fils de l’ancien Président du Sénat. Cette réalisation n’est pas seulement utile pour Gray ; elle est nécessaire pour l’aménagement du territoire et pour la création en France d’un axe économique européen (5). Dès la libération, il aurait fait une zone industrielle inter-communale.

     

         Il avait du cœur, un élan social généreux : il était la bonté même. Il accueillant chaleureusement les humbles, à qui il ne disait jamais : non ou impossible ; il leur donnait l’espoir et réussissait souvent dans des cas désolants, particulièrement difficiles.

         Il fut le bras droit de Massin, notaire à Dijon, chargé par la famille Cournot-Changey de créer un Asile de Veillards.

         Il fut l’ami d’Amédée Denis, d’Arc les Gray, qui, par son premier don à l’œuvre de l’allaitement maternel
    de Paris, permit de fonder aux Capucins le Refuge Maternel (auquel lui-même donna une propriété voisine pour les enfants en bas-âge) ; récemment l’œuvre de Paris fut absorbée par l’Assistance publique et le refuge passa alors aux Hospices de Gray.

         Il eut toujours la plus grande sollicitude pour les Hospices, en accord toujours avec la supérieure et les religieuses : c’est à son époque que date le legs de Madame Revon.

     

         Ses préoccupations municipales, il les transporta sur le plan parlementaire, quand il fut élu sénateur sur la liste du Président Jeanneney. Il n’était pas un partisan et se ralliait à ce qui lui semblait équitable : "souvent les théories sont justes dans ce qu’elles affirment et fausses dans ce qu’elles nient".

         Il s'intéressa spécialement aux artisans. Il déposa une proposition de loi, qu'il rapporta, pour limiter la création des salons de coiffure et mettre de l'ordre dans la profession. Elle devint une loi.

         Emu par la grève des dockers de Marseille, menée par des étrangers, il déposa une proposition de loi pour les empêcher d’influencer les ouvriers français : face à la menace de guerre la cohésion nationale devait être resserrée.

         Pour le commerce, il déposa une proposition de loi sur le Registre du Commerce, pour le rendre plus efficace, proposition qui fut reprise ultérieurement.

         Il chercha à donner aux organisateurs économiques un plus grand rôle dans la politique économique du pays et l'élaboration des lois les concernant ; il déposa une proposition de loi, dont il fut rapporteur, pour créer une assemblée des Présidents de chambre de commerce : on en fit une loi.

         Il ne perdait pas de vue les questions municipales : il déposa une proposition de loi pour l'inscription de l'acte de naissance : on en fit une loi.

     

         La guerre arrêta son rôle parlementaire.

         Nos revers militaires ne peuvent être imputés aux parlementaires, qui n’ont jamais refusé de crédit. Pour une bonne part, ils sont dus à nos trop vieux chefs militaires qui n'ont pas assez tenu compte des leçons de 1914 et qui n'ont pas crée des corps de chars et d'avions puissants et ayant entre eux une étroite liaison.

         A son poste de maire, à l’arrivée des allemands à Gray, il fit son devoir ; c'est ainsi que malgré les instructions allemandes, il donna au Capitaine des Pompiers Pelot l’ordre écrit d’arrêter le feu Place de l’Hôtel de Ville.

         Convoqué au Parlement à Vichy, il partit de Gray en auto, avec son fidèle Secrétaire Emile Bautz ; et vu les circonstances et non sans avoir pris conseil du Président de l’assemblée, et de nombreux amis comme le sénateur socialiste Bon, en dépit de l’entourage alarmant du ténébreux Laval, il vota les pouvoirs à Pétain pour la seule raison que, pratiquement, il n’y avait rien d’autre à faire, en attendant la délivrance du pays.

         Il revient à Gray où il fut révoqué par le Préfet de ses fonctions de maire, puis expulsé de sa maison par les allemands. Il se réfugia à Paris et ne dut qu’à sont état de santé précaire de ne pas être déporté (il ne manquait pas de jouer à l’agonisant lors des visites de la Gestapo).

         Il eut la tristesse de connaître la déportation de son fils René, qui lui ressemblait tant ; mais il n’apprit pas heureusement sa fin horrible à Auschwitz à la chambre à gaz.

         Ce vieux lutteur qui avait combattu de toute son énergie pour Gray, cet animateur infatigable, ayant le don de persévérer, ce libéral indomptable, s’éteignit à Paris, où il était seul avec sa compagne ; elle l’a soutenu jusqu’au bout de son courage égal au sien (6).

         Il n’eut pas la joie d’apprendre le débarquement allié en Normandie ; mais, à aucun moment, il ne désespéra. Il conserva toujours intacte sa foi dans les destinées de la Patrie et dans la sauvegarde de la civilisation (7).

     

    Lucien LA RUCHE

    1965.

     

    NOTES

    (1) Pris pendant l’occupation : vous pardonnerez donc les omissions involontaires.

    (2) Le slogan de Drouot dans sa première campagne fut :

         Couyba + Ragally = 1 + 0 = 1

         Couyba + Drouot = 1 + 1 = 2

    (3) Bresard remplaça le maire au début de la guerre de 1914. Moïse Lévy, lieutenant d’infanterie (territoriale) (qui avait refusé malgré sa classe d’être rayé des Cadres) rejoignit les troupes de couverture en avant de Toul et commanda une compagnie ; atteint de rhumatismes et immobilisé il fut hospitalisé à l’Hôpital Gamma de Toul ; puis réformé et nommé Lieutenant honoraire.

    (4) Coudry, professeur au collège, lui avait dit : "tu ne peux réussir qu’en lettres".

    (5) Voir article n° 36 du 12-2-1965, Journal "Les dépêches", Journal du centre-Est à Dijon.

    (6) Des amis de la famille furent d’un dévouement total, et notamment Mademoiselle Berthe Coudry (la fille du professeur au collège), qui prêta son identité à Madame Moïse Lévy.

    (7) Il a été déposé à la bibliothèque municipale de Gray, ses rapports et propositions au Sénat, nottament ceux numéros 451 et 550 de 1937, 166 de 1939, 186 de 1937, 328 de 1938 et 288 de 1938 ; ainsi que la copie de sa lettre au chef de l’Etat Pétain du 25 février 1941 où il "élève contre la loi du 3 Octobre 1940 ; importée de l’étranger, la protestation la plus énergique. Dans la patrie de la liberté, les Français retrouveront un jour la liberté de conscience".


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  • Chronologie des évènements

    - La loi du 3 octobre 1940 portant satut des juifs paraît au Journal officiel du 18 octobre 1940.

    - En février 1941, une circulaire demande aux parlementaires de préciser s'ils étaient d'ascendance juive.

    - Le 25 février, le sénateur Moïse Lévy s'insurge contre cette circulaire auprès du Maréchal Pétain (Lettre à Pétain).

    - La loi du 2 juin 1941 qui remplace la loi du 3 octobre 1940 portant statut des juifs paraît au Journal officiel du 14 juin 1941.

    - Par décret du 19 novembre 1941 "Déchéance de parlementaires", paru au Journal officiel du 27 novembre 1941, les députés et sénateurs juifs sont déchus de leurs mandats :

    Nous, Maréchal de France, chef de l’Etat,

    Sur le rapport de l’amiral de la flotte, vice-président du conseil, du garde des sceaux ministre secrétaire d’Etat à la justice, et du ministre secrétaire d’Etat à l’intérieur,

    Vu la loi du 2 juin 1941 portant statut des Juifs et notamment son article 2,

    Vu l’avis du commissaire général aux questions juives,

    Décrétons :

    Art. 1°. – Sont déchus de leur mandat de sénateur :

    MM. Moïse Levy, Abraham Schrameck, Georges Ulmo.

    Art. 2. – Sont déchus de leur mandat de député :

    MM. Pierre Bloch, Léon Blum, Salomon Grumbach, Robert Lazurick, Lévy Alphandéry, Charles Lussy, Georges Mandel, Léon Meyer, Jules Moch.

    Il convient de remarquer que les trois sénateurs déchus avaient voté les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain le 10 juillet 1940. Léon Meyer avait été le seul député déchu à voter ces pleins pouvoirs (voir ce site et l'extrait du JO).

     

    Lettre du Sénateur Moïse Lévy au Maréchal Pétain, 25 février 1941 (Lettre à Pétain)Lettre du sénateur Moïse Lévy au Maréchal Pétain, 25 février 1941

         Monsieur le Maréchal,

         Par déférence pour votre personne, je réponds à la circulaire par laquelle ma religion m’est demandée. Cette question n’a pas été posée à l’Assemblée Nationale, quand vous avez demandé des pouvoirs, à moi comme à mes collègues. Elle n’a pas été posée davantage à la mobilisation, aux israélites qui sont morts pour la France en 1940 comme en 1914.

         Mon nom et mon prénom n’ont jamais trompé personne. Mes concitoyens catholiques qui m’ont fait confiance, notamment en m’élisant conseiller municipal pendant 46 ans et maire pendant 21 ans, ont toujours respecté mes convictions, parce que leur religion le leur commande et parce que j’ai toujours respecté les leurs. Ils m’ont élu conseiller général en 1919, puis sénateur de la Haute-Saône sur la liste de M. le Président Jeanneney.

         J’élève contre la loi du 3 octobre 1940, importée de l’étranger, la protestation la plus énergique. Dans la patrie de la Liberté, les Français retrouveront un jour la liberté de conscience.

         Mes ascendants israélites sont tous français, dans toutes les branches, aussi loin que je puis remonter. Je n’ai aucun parent naturalisé, étranger ou à l’étranger.

         Je me suis toujours rappelé que mes ascendants étaient de situation modeste : agriculteurs, artisans, petits commerçants. Aussi mon dévouement était acquis à la classe moyenne et aux gens de métier, ainsi que l’attestent mes rapports N° 451 et 550 de 1937, 166 de 1939. L’organisation des professions était l’objet de mes préoccupations. (Rapports N° 186 de 1937 et 328 de 1938).

         Personne ne peut rien me reprocher, ni à moi, ni aux miens. J’ai fait mon devoir aux armées en 1914 (classe 1880) et ai été nommé lieutenant honoraire d’Infanterie. Je l’ai fait aussi en 1940, où comme maire de Gray, ma ville natale, j’ai eu la profonde tristesse de recevoir l’ennemi.

         Mes cinq enfants ont fait courageusement leur devoir, soit en 1914, soit en 1940.

         J’ai défendu les droits de la famille autrement que par des discours, en participant à la création d’une maternité, d’une pouponnière, d’une maison d’enfants et d’un asile de vieillards.

         Vous avez fait don à la France, Monsieur le Maréchal, de l’honneur des Français de religion israélite : l’histoire nous dira si les rigueurs de l’occupation en ont été adoucies.

         Quels que soient les évènements (conformément à ma proposition de loi N° 288 de 1938 que je rappelle avec fierté), mon mot d’ordre sera toujours :

    "Suivre le sens national, sans lequel rien ne se fait de grand, ni de durable, et répondre à l’appel de la Patrie."

         Veuillez agréer, je vous prie,

         Monsieur le Maréchal,

         l expression de mes sentiments les plus respectueux.

    Signature

    M. Moise LEVY, Sénateur de la Haute-Saône.

    Exemplaire dédicacé : A mon fils Lucien - à sa femme en affectueux hommage - Signature


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