• Ecrit veine

    O Comme Or
    A la manière de Michel Pastoureau (Les couleurs de nos souvenirs, journal chromatique…), j’écris mon histoire d’or… [lire la suite]

         V comme Ventail
         C’est au 19 rue des bons-enfants… J’y suis revenue et rien n’avait changé ou si peu… La façade blanchie devenue grisâtre… [lire la suite]

    I comme Inventaire de ce qui fait le sel de la vie
    Voir mon fils sourire, son visage s’éclairer et sa fossette se creuser sur le bord de la joue… [lire la suite]

         G comme Goût
         Le gâteau de Pacha Mama Mía. C’est un gâteau ancien, au nom imprononçable, d’un yiddish incertain d’une Mamie Mía… [lire la suite]

    F comme Faites ce qu’il vous plaît
    Bonjour ma grande handicapée ! Ô toi qui ne sais jamais trop que faire de mon corps. Tu es une bien piètre marionnettiste… [lire la suite]

         Q comme Que faites-vous ?
         Mais que fait-elle ?... Depuis que ce serveur peu aimable m’a emmenée avec le café fumant devant sa petite table en fer forgé… [lire la suite]

    P comme Printemps des Poètes
    Enfanter une nouvelle fois, Jouer à pile ou face, Enfreindre le temps et sa nasse… [lire la suite]

         M comme Monologue intérieur
         La pièce s’assombrit. Il doit être tard déjà. Allumer la lampe… j’ai froid aux pieds. Et rentrer me pelotonner au fond du lit… [lire la suite]

    S comme Souvenir
    Grimper la colline derrière Castelroc en été. Ses rocs de calcaire, les gravillons sous les sandales. L’odeur du romarin… [lire la suite]

         E comme Enfance
         Quand j’étais enfant, je rêvais de vivre dans une cabane en bois perchée dans un arbre. Nous l’aurions construite avec ma sœur… [lire la suite]

    R comme Rituel
    Un soir comme les autres avant, il y a quelques années seulement. Le repas était terminé, la vaisselle nettoyée, rangée… [lire la suite]

         L comme Lettre de rupture
         Chère Madame, En tant que directeur de la nouvelle DCTJSLP j’ai pris le temps de vous recevoir une fois l’année dernière… [lire la suite]

    J comme Jouet
    Elle était si belle. Elle avait un visage parfait, fin, avec ses longs cils noirs, ses yeux bleus, profonds, et ses anglaises… [lire la suite]

         B comme Beauté
         La beauté aujourd’hui ce serait le sourire lumineux de la boulangère lorsqu’elle me tend le pain, La beauté aujourd’hui… [lire la suite]

    A comme Autoportrait !
    Bienvenue ! Bonheur de voir le matin. Entière avant d’être en terre. Nana N’amoureuse ! Maman sans N’amant… [lire la suite]

         Apprendre à partir
         La grande aiguille de la pendule de la gare avait rejoint la petite. Il était midi. Je regardais le tableau des départs… [lire la suite]

    Olipo
    Je me souviens des dunes de sable du pila, inaccessibles, et de la main de mon père… [lire la suite]

         Ode aux odeurs ou Rêve d’anosmie ?
         La terre semblait se réveiller. Craquelée, ses blocs disjoints par la chaleur de l’été étaient tout à coup compacts. Brunie, ses essences… [lire la suite]

  • Mercredi

    Un centre commercial. Petits et grands blocs accolés les uns aux autres. Couleurs flashys. Vert pour Speedy, bleu pour Leclerc. Chacun essaye de capter le regard du consommateur. Dans ces artères de déambulation, rien pour s’asseoir. Aucune chaise pour se reposer et lézarder. Aucun café. Tout est minuté. Les courses, le garagiste, la culture… quelques pas plus loin.

    Un sourire dans cette grisaille. Celui du jeune mécanicien. Mais le temps est compté. Il faut passer à la caisse, récupérer la voiture, partir, laisser la place au suivant. Au suivant !

      

    Un matin dans la semaine

    Un matin, dans la cour. Le soleil s’est levé depuis peu. Des traînées roses flottent encore. Le cri d’un oiseau, son bruit d’ailes. Je ne l’ai pas vu passer. Juste deviné. Mais il est là. Comme le jour, ce matin.

      

    Vendredi matin

    Je lis « Grammaire africaine », court extrait de Mythologies, de Roland Barthes. Perdre le sens des mots, comme les personnages de Cent ans de solitude. Retourner les mots.

    Barthes capte le détournement du signifiant dans les discours des années 1950-60. Quand la guerre est écartée, quand on la maquille derrière le terme de pacification, quand on nie son existence en l’oubliant de son vocabulaire. A cet instant, je sais que je me servirai de ses mots dans mon travail.

    BBLR


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  • Je rentre à l’instant, rapidement, dans le bar. Et d’instinct, je sens que ce n’est pas L’instant habituel.

    Le bar est là pourtant, inchangé. Les tables noires et leurs petites lampes accrochées sur le côté de chaque box. La moquette brune, profonde. Et cette économie de décoration. L’instant reste épuré.

    Mais l’instant est suspendu. Vide. Personne. La musique qui enveloppe habituellement le fond de l’air est coupée. Silence. Tout est si lent alors que l’instant est chaque jour surchargé de voix, de bruits, de pas. L’instant agité s’est fracturé.

    Personne. Le barman roux est absent. La serveuse au look de punkette ne déambule pas. Aucun client.

      

    Je suis entrée en courant. J’ai l’habitude de venir chaque midi manger mon bout de salade ici. Un trajet habituel, impensé. Je me suis assise comme toujours au fond. Mais l’espace ne vibre pas de son tempo quotidien.

    Et il y a cette odeur acide. Ce parfum entêtant qui m’emplit. Odeur captée par les narines… et les nerfs. Une odeur aigre, persistante. Un air qui charrie la colère. Un temps mort. Le temps mord cet instant… puis s’accélère.

    Le barman entre, la main enserré dans une bande rougeoyante. Son visage est chaviré. Lorsque la porte s’est ouverte sur l’extérieur, j’ai vu les pompiers, dehors, près du banc à l’entrée. Couchés au-dessus d’un corps, une petite foule autour d’eux.

    Et cette odeur envahissante à l’instant.

    Le temps comprend, en flash. Odeur du sang. Je ne l’avais pas saisi, dans mon trajet d’habitudes, mais c’est bien ça, cette senteur puissante, chargée des flux sous notre peau. Et l’homme qui accompagne le barman retrace –presque à mon intention -, le fil de l’épisode précédent cet instant où je suis entrée en courant.

    Cet instant où une femme ivre a cassé son verre sur le bord de la table. Cette seconde où elle a lacéré son compagnon. Cette minute où le barman qui n’avait pas vu le passé du verre brisé a cru que la femme venait de se faire agresser. Cet instant où il a enserré l’homme. Ce passage successif où la femme l’a frappé du bout de son verre fracassé, là, au bras…

      

    L’instant se fige, l’odeur est là. Qu’est-ce que je fais ici, assise à cet instant d’après. Je n’ai pas saisi ces moments de l’instant fugitif. J’étais entrée et je n’ai rien vu. Je me suis attablé dans l’instant blessé.

    BBLR


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  • A la manière de Michel Pastoureau (Les couleurs de nos souvenirs, journal chromatique…), j’écris mon histoire d’or.

      

    OR… est une couleur…

    Or est un changement, un appel à penser autrement : « vous croyez savoir cela… vous avez entièrement raison d’ailleurs… Or le diable se cache dans les détails… »

    Or est entre ce dedans et le deHORS, une fenêtre hors du temps…

    Or est une couleur… qui illumine, qui éclaire…

    Car OR est aussi La Lumière en hébreu…

    Et Or est le prénom d’une jeune fille éblouissante, d’une amie dorée, qui vit aujourd’hui dans un pays à l’autre bout de la Méditerranée.

    Or était encore incertaine dans la chair de son dessin. Elle était blottie au fond du ventre de sa mère, qui avec son père ne savait pas encore quelle serait la voie à tracer, le sillon à former, le nom, le shem, en hébreu, à donner, le schéma à ébaucher pour leur enfant.

    Laisser la voie libre… il y avait Orion, il y avait Or, il y avait tant d’autres possibles, de choix, de demains… à deux mains…

      

    Pendant que ces questions se bousculaient dans le pays du lait et du miel, la grand-mère de la future petite Or était loin, très loin, portée sur un voilier, emportée sur la Mare Nostrum, quelque part entre le Guadiana et Chypre…. Elle s’appelait Brigitte et elle sentait que le temps était venu de changer de nom, de changer de shem… d’esquisser un nouveau schéma elle aussi, au moment, à l’instant de la naissance de sa petite-fille, elle-même renaissait…

    Et le Verbe prononça le shem « Orion ! » Oui ! Orion s’imposait. Elle prit un livre, ouvrit avec art au hasard des pages de ce livre peu quelconque… et tomba sur les mots : « ton nom est écrit dans les étoiles »    Orion…

    Tel serait son nom, son shem, son schéma à finir…

      

    Sa petite-fille guettait, sa petite-fille restait blottie au fond du ventre, attendant les esquisses à finaliser autour d’elle… elle ne s’appellerait pas Orion… Sans que ses parents n’en sachent rien le chemin, le schéma était déjà emprunté… mais d’autres encore possibles…

    L’ion de la grand-mère parla à l’Or de sa petite-fille.

    L’enfant encore sans nom, la petite que je vois aujourd’hui si belle, apparut… Un jour, un beau jour elle naquit. Qui était-elle ?

    Son père, en la prenant dans ses bras fut ébloui, éclairé par sa lumière. Frappé par ses rayons, seul un nom s’imposait : « Or… Lumière… »

    Son chemin maintenant était dessiné, son schéma tracé…

    Or-Lumière serait la couleur de son dessein…

    BBLR


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  • C’est au 19 rue des bons-enfants… J’y suis revenue et rien n’avait changé ou si peu… La façade blanchie devenue grisâtre et les pierres de plus en plus apparentes… le passé remontait le long des gouttières, les racines remontaient sur le mur pour alimenter chacune de ces fenêtres qui parlent des courants d’air de leurs habitants.

    J’ai humé l’air… et à la fenêtre entrouverte du premier la brise a fait frémir le linge étendu, les serviettes suspendues, les bavoirs accrochés. La famille Lafranchi s’était encore agrandie… des petits-enfants étaient là, des cris, des rires se répercutaient de l’appartement à la cour. La belle-fille Lanfranchi, celle qui avait épousé l’aîné, Victor, le préféré, et qui semblait avoir tant de mal à se faire accepter dans la tribu avait repeint les fenêtres… De la cour on sentait encore la peinture et on voyait le blanc tranchant sur le gris de la façade. La belle-fille Lanfranchi, Isabelle, que j’avais trouvé vingt as plus tôt sur le seuil du premier étage, en pleurs, mise à la porte par sa belle-mère, semblait avoir trouvé sa place dans la famille.

    Les plus petits dormaient dans la pièce à côté ; la fenêtre à demi ouverte, le rideau fermé, aspiré à chaque petit coup de vent… ils ne sont pas gênés par les rires et les cris, les courses dans le couloir, ils dorment…

    A l’étage du dessus, ce sont Mr et Mme Marchelli qui font la sieste aussi. Les vieux volets, les mêmes volets rouillés qu’il y a vingt ans, sont là… Mr Marchelli est chargé de leur ouverture et de leur fermeture. Mr Marchelli sur sa canne, déjà à l’époque, et toujours là… attentif aux petits pas de sa femme, silencieux et aimant. Mr et Mme Marchelli restés sans enfants, le petit Simon mort dans un accident, aiment entendre en dessous les gamins courir dans les couloirs. Les petits montent l’escalier tous les jours à cinq heures précises pour aller chercher chez Mme Marchelli les bonbons acidulés qu’elle garde dans sa soupière, mêlés aux colliers de pâtes et empreintes de mains en argile de Simon…

    Et puis, au troisième étage, il y a la Saporta, celle à qui personne ne parle dans l’immeuble. Elle doit avoir cinquante ans maintenant. Les petits murmurent sur son passage : « c’est elle, la sorcière… chuuut ! cache-toi parce que si elle te voit, elle te jettera un sortilège ! ». La Saporta ne sourit pas, elle passe devant les enfants tapis dans l’ombre, elle monte le grand escalier, lentement, en s’agrippant à la rampe…

    Mr et Mme Marchelli disent que c’était une putain avant, qu’elle recevait plein d’hommes différents, tout le temps… moi je l’aimais bien la Saporta, parce qu’elle m’avait accueilli un jour, à 15 ans, elle m’avait parlé des hommes comme personne ne m’en avait parlé, elle m’avait parlé de la vie qu’elle connaissait avec toutes ses bosses, ses cabosses. Ma fée carabosse me disait de garder toujours mes rêves, de ne jamais croire à la réalité dont tout le monde parlait… Elle était différente la Saporta. C’est elle que je viens voir aujourd’hui, vingt ans après… au troisième étage du 19 rue des bons-enfants.

    J’aime les fenêtres, elles parlent, elles vibrent et se cassent. Elles s’ouvrent sur l’extérieur, comme celle du dernier étage qui vient de claquer sur la façade, alors même que les murs restent silencieux, refermés sur eux.

    BBLR


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  • Voir mon fils sourire, son visage s’éclairer et sa fossette se creuser sur le bord de la joue…

    Entendre nos pas crisser dans la neige, un silence enveloppant le temps immaculé…

    Sentir l’eau chaude, bouillante, couler le long du dos, dérouiller mon corps encore endormi…

    T’attendre et entendre tes pas dans le couloir, et la porte s’ouvrir sur ton sourire le soir…

      

    Voir des larmes dans les yeux de ma sœur, mon amie, quand seule Delphes pouvait s’offrir à elle…

    Entendre les oiseaux dans le jardin aux échos…

    Sentir un rayon de soleil percer le volet, s’infiltrer jusque sur mon visage… le matin, un matin…

    Mon cœur s’emballer, mon être frissonner quand un nouveau chemin apparaît… un nouveau sentier à découvrir, une route à défricher, à tracer… changer, s’élever…

      

    Voir les enfants jouer, rire et poser des questions… dire des mots qui élèvent nos oreilles bien plus que nous les élevons…

    Entendre la lettre tant attendue tomber dans la boîte aux lettres…

    Parcourir les allées d’une librairie et me laisser happer par les couleurs, une couverture, un titre, des mots…

    Sentir ta main, ton épaule, ton étreinte quand l’instant semble s’écrouler…

    BBLR


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  • Le gâteau de Pacha Mama Mía

    C’est un gâteau ancien, au nom imprononçable, d’un yiddish incertain d’une Mamie Mía, la très belle Mamie aux cheveux poivre et sel, qui pouvait aussi être très soupe au lait … ! Le Simmot Kurer… mais oubliez le nom original avec des M, des K et des R partout.

    Pour pimenter sa vie, Mamie Mía prenait deux doses de cannelle. Elle savait casser les œufs sans faire pour autant une omelette, lorsqu’elle rassemblait sa tribu. Elle mélangeait la cannelle et ses œufs, en traitant la pauvre Esthi de grosse patate indigne de son fils chéri !

    La Mamie Mía très droite, disait au milieu des siens : - Assignez les places sans vous soucier des déclassés.

    Reine dans sa cuisine, elle clamait à ses assistantes : - Mélangez œufs, farine, cannelle et sucre ! Faites des bisous aux petits et refusez les impromptus !

    Mamie Mía était royale, adorée par son mari, adulée par ses amis et enfants. Mamie Mía a fui mais ne s’est jamais brisée. Fière et ironique, elle était dure aux grands et douce aux petits. Et elle disait à tous :

    - Continuez à faire le gâteau de Mamie Mía, transmettez-le aux frères, aux sœurs, aux cousins, à la famille, à la tribu… Mettez à cuire 30 minutes, pas plus, pas moins. Et vous mangerez ce gâteau sec et dur pour les siècles des siècles en souvenir de Mama Mía.

    BBLR


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  • Bonjour ma grande handicapée ! Ô toi qui ne sais jamais trop que faire de mon corps. Tu es une bien piètre marionnettiste. Alors, voilà trois personnes se présentent à moi, que tu ne connais pas et tu m’emportes comme un pantin démantibulé… Je sens que tu tires les fils de mes bras. Tu les serres devant, tu les desserres. Hop ! Tu les fais passer derrière, en me joignant les mains… et puis à nouveau devant…

    Je connais, ma grande infirmité, tes manigances pour me maintenir à l’étroit dans ce corps que tu manipules. Et maintenant tu t’en prends à mes pieds… Tu les croises, les décroises… avant de les recroiser. Je sens ta vilenie me les faire bouger comme une terre glaise tournée par un potier peu doué. Et hop ! Sur un pied à présent ! Pourquoi ne pas me lancer dans une série de claquettes à contretemps tant que tu y es ?

    Ô toi, ma débilité, tu as toujours tenu mon corps sous ton impulsion démoniaque et incertaine. Fillette déjà, tu t’en donnais à cœur joie avec moi, cette grande asperge maladroite qui dépassait toutes ses petites copines de trois ou quatre têtes. Les autres ressemblaient à ce qu’on appelle communément de « vraies » petites filles, câlines, joueuses, charmantes, vêtues de petites robes qui tournoient quand elles dansent… Alors que moi la grande gigue, qui pourtant s’efforçait de courir comme elles, tu me faisais ressembler à un vilain canard boiteux bien qu’enjoué, avec son cou trop long, son dos déjà scoliosé et ses énormes chaussures orthopédiques qui ressemblaient étrangement à celles que ma grand-mère et ses amies portaient…

    Et quand toutes les petites abeilles papillonnaient et dansaient ensemble, quand les petites filles jouaient puis minaudaient devant les grands, tous fondaient… Et Pfuuitt ! Dans le froufrou des robes d’été, les petites abeilles s’envolaient alors promptement. Et toi, tu restais là avec moi, tu me clouais au sol avec mon regard bovin et mes mouvements lourds, incertaine du geste à adopter, paralysée. Et « le grand » face à moi restait perplexe devant cette enfant qui ne jouait pas à le charmer, coincée dans son corps.

    Ma timidité, ma grande invalide, je t’ai bien un peu apprivoisé ma mégère ! Parfois encore, tu me surprends à ployer mon dos, à chercher mes mots, à bafouiller. J’ai joué un temps à accentuer ton fardeau, je t’ai mimé et moqué. Mais je ne te maudis plus aujourd’hui, j’ai appris à vivre avec toi et même à t’aimer un peu. Et à aimer les personnes que tu harponnes. Ma vieille amie, je sais te voir dans le regard des autres. Tu t’y caches si souvent.

    BBLR


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  • Mais que fait-elle ?... Depuis que ce serveur peu aimable m’a emmenée avec le café fumant devant sa petite table en fer forgé, sous la tonnelle, elle n’a pas bougé.

    Elle, c’est la fille qui viendra déposer ses lèvres sur le bord de mon corps de faïence. Elle prendra délicatement ma hanche entre son pouce et son index pour me promener jusqu’à ses narines, pour humer mon parfum torréfié. Elle, elle aura le petit doigt en l’air, qui me met élégamment en valeur au bout de sa main. Elle aura touillé dans mon noir breuvage avant de déposer la cuillère humectée à côté de moi. Et elle me prendra auprès d’elle et dansera avec moi, comme avec ses bracelets qui tintent le long de son bras.

    Mais pour l’instant, la fille aux cheveux noirs n’a pas bougé. Ses yeux n’ont pas cillé, elle semble statufiée, accaparée par une pensée. Elle paraît ne voir personne, n’attendre rien…

    Tiens, une fille s’installe à côté de ma brune et moi. Une jolie fille, enfin je la trouve jolie avec sa peau fraîche et éclatante comme un sou neuf. Elle s’est mise près de l’entrée, signe qui ne trompe pas une petite tasse du café de la Rotonde. Elle attend quelqu’un. Elle triture son collier de perles, nerveuse.

    Ma brune à moi s’est décidée du coup à me prendre, un peu brutalement d’ailleurs. Enfin je ne m’y attendais plus, tant elle semblait perdue ailleurs, dans ses rêves… Elle a collé son autre main contre moi, pour aspirer ma chaleur dans sa peau. Elle me plaît ma brune, elle prend soin de moi contre elle. Elle me boit et son attention est tendue vers la jolie fille qui vient d’entrer. La fait-elle parler ? La fait-elle penser dans sa tête ?

    Je ne sais pas, mais elle vient de me reposer sur la table de fer forgé. Je crois qu’elle est en train de m’abandonner. Ses mouvements se précipitent. Elle prend son grand sac de toile, fouille à l’intérieur. J’entends le bruissement des papiers, le cliquètement des clés, des objets se cognent, des stylos, un téléphone peut-être, un agenda… Un petit carnet noir et or sort de cette caverne. Elle l’ouvre… Et vite, vite, elle se met à écrire, écrire… Les épaules voutées, enfoncées, les bras écartés pour bien étaler le papier… Eh ! Oh, mais elle va m’oublier !!!...

    Non, sa tête vient de se redresser. Elle regarde encore la jolie fille qui attend, qui ne cesse de tourner sa tête de droite, de gauche. Ma brune en profite pour m’aspirer goulûment. Mais elle n’est plus vraiment là, avec moi.

    Ma brune écrit, écrit. Elle ne se rend plus compte des minutes. Je crois qu’elle veut garder la mémoire de la jeune fille vivante sur son cahier. Elle se dit que cette beauté d’un instant lui appartient pour longtemps. Elle l’a incarnée sur cette feuille vierge. Ma brune a dessiné une autre vie à la jeune fille au collier de perles. Elle l’a saisie, esquissée. Ma brune paraît exténuée par son effort. Son crayon tombe de sa main. Elle relève la tête. La jolie fille a disparu, elle s’est envolée. Peut-être son ami est-il venu ou peut-être pas ? Peu importe. L’instant de la jeune fille au collier de perles lui appartient désormais. Son regard part au loin, elle s’est une fois encore évaporée.

    Ma brune appartient à son cahier. Elle m’a oubliée, moi la petite tasse de café, le goût de son instant, l’instant de sa jeune fille au collier de perles.

    BBLR


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  • Enfanter une nouvelle fois,

    Jouer à pile ou face,

    Enfreindre le temps et sa nasse…

    L’enfance flanche, l’enfance s’épanche,

    An fantôme, tombe en faillite.

    L’enfance franche, l’enfance tranche,

    Demain elle sera fanée et rance.

    Une enfance d’attente sort de l’an fange,

    En farine, enfant-roi

    Mettre à l’encan l’enfance,

    Et Naître de l’an-Fantine.

    Tu me surprends en flagrant délit d’enfance…

    Je cherchais à forcer le flan de l’enfance

    Pour sortir l’enfance enfermée…

    Entame en do ré mi enfant sol…

    Enfin le solstice…Aime l’enfant seul.

    BBLR


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  • M comme Monologue intérieur - avril 2012La pièce s’assombrit. Il doit être tard déjà. Allumer la lampe… j’ai froid aux pieds. Et rentrer me pelotonner au fond du lit, frotter mes pieds l’un contre l’autre… Bon j’arrête à la fin de la page… j’arrête et je rentre dans le lit. Papa n’est toujours pas rentré.

    Dans cette histoire la petite fille est jolie. Je la touche du doigt. Elle est radieuse dans sa petite robe. Elle vit dans une très grande maison, avec plein de fenêtres à petits carreaux. La lumière entre partout. Et il y a beaucoup de personnes autour d’elle. Sa famille, ses amis. Ils jouent tous ensemble, ils courent dans un grand jardin avec une pelouse verte et des primevères. Les grands regardent avec amour les enfants, ils leur parlent toujours gentiment.

    La chaise est vide à côté de moi. Papa n’est pas là. Il m’avait promis de lire l’histoire. J’aime bien quand c’est lui qui lit l’histoire. J’entends sa grosse voix douce qui s’accorde aux jolies images. Et je place ma tête dans le creux de son épaule…

    Je vais allumer la lampe. On ne voit plus rien ici. Et il fait vraiment froid. La petite fille rit sur l’image de mon livre. Elle joue avec son chien ; on dirait le printemps chez elle. Et je vois les murs chez moi, si tristes. Mais c’est parce que papa n’est pas là. Quand il va rentrer, il mettra la bouilloire sur le feu et nous chanterons…

    La petite fille du livre pleure maintenant. Elle est triste. Son chien s’est enfui et s’est fait écraser. Son chien est mort. Et je pleure aussi… j’aimerais bien avoir un chien. Comme ça je jouerais avec lui en attendant Papa. Je serais avec lui, je ne serais plus seul. Je comprends la tristesse de la petite fille. Et elle est toujours aussi jolie, malgré ses larmes. Il y a toujours autant de personnes autour de la petite fille mais elle paraît toute seule…Ce n’est plus le printemps chez elle, des nuages apparaissent au fond.

    Ici ? seule la chaise de Papa est éclairée. Pourtant j’ai allumé la lampe. Je distingue de plus en plus mal les images du livre. La chaise est vide ; j’attends Papa et je pleure comme la petite fille du livre. Pourtant je n’ai pas de chien et il n’est pas mort. C’est peut-être pour cela que je pleure, parce que je n’ai pas de chien. Je pense à Papa. Il me dirait que je suis un grand maintenant, que j’ai allumé la lampe et que j’ai su m’occuper de la maison tout seul. Papa ne crie presque jamais et j’aime quand il me serre fort contre lui. Quand il fait ça, toute la tristesse disparaît.

    J’entends ses pas devant l’entrée. Il s’essuie les pieds. Dans quelques instants ce sera aussi le printemps chez moi, comme chez la petite fille du livre.

    BBLR


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  • Grimper la colline derrière Castelroc en été. Ses rocs de calcaire, les gravillons sous les sandales. L’odeur du romarin et les poumons ouverts. Cette lumière, unique, et au loin la mer. Et courir dans les éboulis à la descente…

    Une salle de classe de l’école primaire de Castelroc. Madame Papadji et ses robes transparentes. Ses chansons de Gérard Lenorman. Elle, plongée sur son vernis à ongles et nous qui attendons à la file devant son bureau pour la correction de nos copies. La distribution des images.

    La colline derrière Castelroc le haut, après le dernier immeuble, le Ruissatel. J’habitais les bas de Castelroc. La liberté de courir là-haut malgré l’interdit pour aller construire la cabane. Mais la cabane n’était jamais celle que nous avions imaginée.

    Au 32 rue André Audoli, il fait nuit. Le chant le vendredi soir de la grande famille hassidique au troisième étage. Le Nuoc man du quatrième se mélange aux sardines sur le barbecue du cinquième étage. Festival des odeurs de cuisine à Marseille, dans un immeuble du dixième arrondissement. Et tous les échos de ces sons entendus ailleurs mais restés là-bas.

    La colline en feu derrière Castelroc le haut. La nuit, la chaleur et les bruits intermittents des camions de pompiers. Les flammes, Beauté rouge. J’entends les cris et la peur. Rester éveillée et demain les cendres entreront par la fenêtre.

    Le couloir de l’immeuble, 32 rue André Audoli. Les escaliers extérieurs et ce couloir en damiers noir et blanc. Les jeux de marelles sur ce goût affreux.

    Derrière le vieux port. La rue aux escaliers infinis. Une rampe en fer forgée, toute fine, garde la mémoire des mains qui l’ont accrochée. Monter, monter et sentir la chaleur grimper le long des mollets. Gravir les marches deux à deux, plus vite, pour retrouver l’ami.

    BBLR


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  • Quand j’étais enfant, je rêvais de vivre dans une cabane en bois perchée dans un arbre. Nous l’aurions construite avec ma sœur autour d’un immense pin. Elle serait grande, avec une terrasse et une belle rambarde pour nous appuyer en regardant au loin. Toutes deux nous grimperions par un grand escalier et vivrions là-haut, loin de tout. Ma sœur jouerait de la guitare et je chanterais. Nous vivrions de jeux et de dessins.

    Et lorsque nous serions fatiguées de jouer, nous irions toutes deux préparer des crêpes. Et nous ririons en les faisant sauter. Nous ririons à nous en donner mal au ventre parce que ma sœur fait des grimaces trop rigolotes. Et pendant ce temps-là je mimerais Madame et Monsieur Desglanos, les épiciers du fond de l’allée des cabanes. L’odeur des crêpes, de la fleur d’oranger que j’aurais un peu trop généreusement versé viendrait titiller nos narines. Nous retrousserions le nez. Notre gourmandise en éveil en ouvrant la confiture de mûres… Nous emmènerions alors l’assiette chaude avec son monticule de disques chauds pour aller les goûter face à la mer. Un bateau passerait, nous entendrions son bruit et nous imaginerions la terre qu’il toucherait au matin.

    Dans la cabane dans l’arbre il y aurait tout ce qu’il faut pour vivre toutes les deux : un grand tapis qu’on dirait persan, deux petits lits douillets avec de grandes couettes colorées, un poêle à bois et un grand coffre. Ce coffre ancien serait rempli de livres. Des livres de toutes les tailles, avec ou sans images, avec des pages douces à toucher pour nous permettre de nous évader dans l’imaginaire… Et on imaginerait l’air avec ma sœur, un air entièrement pur où nous pourrions nous envoler bien au-dessus de l’arbre de la cabane. Quand nous nous lancerions en l’air sur la balançoire accrochée à la troisième branche du bas de l’arbre, nous nous lancerions aussi dans cet imagine l’air (que tu as là-haut) : « Imagine l’air, dirait ma sœur…Tu le vois, tu le sens t’aspirer goulument quand tu montes vers le ciel ? »

    Et après avoir imaginé nous lirions pour apprendre le monde, le soir au clair de lune… Et nous partirions un jour toutes les deux sur les traces de cet apprenti plus ou moins sage, dans la vie en bas de notre arbre.

    BBLR


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  • Un soir comme les autres avant, il y a quelques années seulement. Le repas était terminé, la vaisselle nettoyée, rangée, la table essuyée. Nathan attendait. Il savait qu’avant il y avait la tisane du soir, la petite cigarette grillée dehors. Nathan continuait à attendre résolument. Le livre était déjà ouvert, sur le lit. Lui aussi attendait d’être pris en main, impatiemment. La cigarette n’avait que trop duré…

    - Maman, tu viens ? Une petite voix, qui appuyait sur le premier ma, comme MA maman…

    - Oui, j’arrive, j’arrive…

    J’écrasais la cigarette. Nous montions l’escalier et nous nous installions confortablement sur le lit. Le pouce déjà dans la bouche, Nathan me montrait de son doigt libre la page à entamer. Le petit sorcier attendait que ma voix lui donne vie. Nous étions en suspension, au-dessus de Poudlard, prêts à plonger ensemble.

    Et nous plongions. Les mots nous emportaient. Nous étions dans ce train vers l’école des sorciers. Ensemble nous combattions les monstres, nous avions peur. Mais nous étions heureux avec les amis qui nous permettaient d’échapper à la bêtise de Dudley et de sa famille. Le téléphone sonnait, mais il pouvait sonner encore. Nous étions bien trop loin, volant sur le dos d’un animal magique au-dessus du village, des bois et de l’étang. Vous ne demandez pas à Superman de répondre au téléphone lorsqu’il est en train de sauver le monde d’un danger mortel !

    Le gros livre n’était rempli que de mots, mais je voyais les images des voyages dans les yeux de mon fils.

    La page s’achevait… un chapitre allait commencer dans quelques instants.

    - Bon je m’arrête là, à la fin de la page…

    La page s’achevait déjà, et le suspense demeurait insupportable… Nathan me regardait de ses grands yeux qui commençaient à papillonner mais s’efforçaient de tenir, tenir…

    - S’il te plaît, Maman, juste une page…

    Je riais, déjà à moitié consentante. Nathan riait, il savait qu’il y aurait une suite.

    - Bon, on ne peut pas laisser tomber le soldat Harry.

    L’heure était grave. Il fallait combattre Celui dont on ne doit pas dire le nom et j’allais rendre les armes ? Impossible, voyons… Je relevais le défi. Et nous entamions la nouvelle page. Nous étions armés de nos formules magiques plus ou moins efficaces contre les êtres néfastes qui jaillissaient et se déplaçaient en valsant autour de nous. Nous devions combattre notre peur pour éloigner ceux dont le souffle glacial pouvait aspirer notre âme. Quand la frayeur était écartée, Nathan se détendait et glissait contre moi. Je sentais sa chaleur s’accroître sur mon bras. La tête dodelinait. Il s’endormait en murmurant

    - Encore une page s’il te plaît, Maman, la dernière…

    Nous avions lu au moins cinquante pages. Il était tard, souvent. Effrayés mais vaillants, nous avions mené de grandes aventures ensemble, côte contre côte. C’était il n’y a pas si longtemps.

    BBLR


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  • Chère Madame,

    En tant que directeur de la nouvelle DCTJSLP* j’ai pris le temps de vous recevoir une fois l’année dernière, le 30 novembre précisément, pendant près d’une heure pour que nous envisagions ensemble les objectifs de votre service. Vous savez combien mon emploi du temps est chargé en représentations, petits fours et mondanités, sans oublier mes abonnements à l’opéra et mes vacances à Courchevel. J’ai tout de même sacrifié une bonne heure à vous recevoir, sans en attendre d’ailleurs le moindre remerciement de votre part. Vous m’avez immédiatement fait remarquer par votre regard peu amène que vous attendiez depuis environ heure trente dans le couloir. Mais dois-je vous rappeler qu’un directeur de la DCTJSLP est amené à régler des tâches de la plus haute importance, comme celle de connaître les décorations accordées aux autres directeurs et membres distingués de notre chère organisation. Vous pouvez comprendre qu’un directeur ne maîtrise pas toujours son temps. La directrice adjointe ne vous-a-t-elle pas d’ailleurs permis de passer agréablement ce temps d’attente en allant lui chercher un yaourt à la cantine ?

    J’ai pu constater à cette occasion une certaine inadaptation de votre part à la nouvelle organisation, qui suppose comme l’a clairement rappelé la directrice de la communication une capacité d’adaptation à toutes les situations, une souplesse de caractère et un enthousiasme indéfectible.

    Mais ne m’attachant pas à ce premier regard courroucé, je vous ai reçue très cordialement. A cette occasion je vous ai accordé toute ma confiance pour que vous puissiez fixer les objectifs de votre service en toute liberté. Vous avez pu m’entendre vous encourager à la responsabilité et à l’autonomie dans le choix de vos actions et dans les modalités de leurs réalisations. Je me souviens même avoir vanté votre intelligence et votre sens du service public. Malgré mes compliments sur votre dynamisme et votre volonté d’agir pour le bien de l’organisation, vous avez cru bon de vouloir entrer dans le détail des activités que vous avez à accomplir avec vos agents. Vous avez même commencé à contester les principes de la nouvelle organisation en mettant en avant un faux problème. Certaines activités auraient donc du mal à être réalisées compte tenu de la réduction drastique des effectifs depuis plusieurs années ? Voyons, soyez réaliste et ouvrez les yeux : cette vision archaïque du « toujours plus » ne peut raisonnablement être poursuivie. La nouvelle organisation s’est attachée à réformer toutes ces vieilleries, afin de faire mieux avec moins, de faire autrement comme le bon chef de famille qui préside dans notre code napoléonien. Si je vous accorde ma totale confiance, ce n’est pas pour que vous m’entreteniez de questions prosaïques sur les difficultés de tel ou tel établissement à faire face, ni même sur les défaillances de votre service à accomplir certaines activités. Vous ne semblez pas saisir le nouvel organigramme, et notamment les répartitions de fonctions entre stratégie et communication d’un côté et pragmatisme-exécution de l’autre. Cette incapacité à cerner les acteurs sur l’échiquier et leurs fonctions est très préjudiciable à l’organisation. - Soyez pragmatique, vous ai-je donc dit, et exécutez simplement ce que l’on vous demande, je m’occupe de la stratégie, du cadre et des fonctions. - Vous êtes libre - ai-je ajouté, de fixer vos objectifs comme vous l’entendez dans ce cadre. L’organisation vous fait confiance. Adressez-moi vos objectifs pour l’année prochaine, avec l’échéancier d’ici mardi prochain. Et n’oubliez pas d’y intégrer le rattrapage des fonctions non réalisées sur les quatre derniers mois du fait de la vacance de votre poste.

    Mes propos étaient volontaires, directs, destinés à vous mobiliser davantage dans l’organisation réformée que vous veniez de réintégrer après plusieurs années à l’extérieur de nos frontières.

    Aussi quelle n’a pas été ma surprise lorsque j’ai lu vos objectifs le mardi suivant ! Vous n’aviez pas même intégré les fonctions si capitales d’analyse financière des 67 établissements du département… Vous sembliez oublier les orientations majeures de l’Organisation, à savoir, dois-je encore vous le rappeler, parvenir à la rentabilité financière de ces établissements et sortir de leur assistanat ! Adoptant votre ton plaintif, vous avez encore mis en avant l’insuffisance des effectifs pour réaliser cet objectif majeur, mais vous avez consenti à positionner prioritairement trois agents sur cette tâche en délaissant parallèlement une autre fonction qui est bien plus secondaire pour l’Organisation, celle du contrôle.

    J’en arrive à soupirer devant tant de naïveté, Madame. Je n’ose dire de bêtise… Vous ne vivez pas dans le monde des Bisounours. Il est temps de vous en rendre compte. L’Organisation ne vous autorise pas à abandonner certaines tâches sous le fallacieux prétexte que vous n’avez pas les moyens de les remplir. J’ai donc été encore contraint de passer du temps à vous expliquer, comme à une enfant un peu idiote, que vous devez inscrire l’objectif de contrôle, quelle que soit la situation de votre service. Il s’agit d’un affichage indispensable pour l’organisation. Bien sûr cet affichage est essentiel pour moi puisque je devrais le présenter au directeur du YATIUPDL** pour validation. Le directeur ne comprendrait pas qu’il n’y figure pas puisque cela entre dans nos attributions, comprenez-vous ?

    Vous serez de votre côté tout simplement responsable de l’exécution du contrôle avec les moyens dont vous disposez, vous comprenez ? Vous êtes entièrement libres de vous organiser dans ce cadre et vous contestez une telle autonomie de travail ? Je ne vous comprends pas.

    Et après plusieurs éclats du même acabit de votre part, vous venez de m’écrire que vous ne voulez plus avoir honte de votre travail et « accepter l’inacceptable ». Mais de quoi parlez-vous donc ? Avez-vous pensé à votre sécurité ? Et à celle de vos enfants ? Combien de fonctionnaires payés à vie accepteraient de changer, d’abandonner leur sécurité pour un pseudo confort moral ?

    Vous ne tiendrez guère longtemps, Madame, sur un marché du travail qui ne vous attend pas. Connaissez-vous les difficultés pour vous recaser à votre âge ?

    Et que lui reprochez-vous d’être devenu à la fin à votre travail ? Il me semble que vous êtes bien exigeante. Il n’a plus de sens et vous ressentez une cassure entre ce que vous pensez qui doit être et ce que vous devez faire. Mais que cela veut-il donc dire ? Vous n’êtes là que pour imposer un retour à l’équilibre à toute force et sans prise avec les réalités et les personnes qui traversent les établissements ? Et alors ? N’êtes-vous pas contente de toucher votre salaire à la fin du mois ? Vous accusez la nouvelle organisation de n’être que médiocrité, mais vous me semblez bien présomptueuse. Le principe de réalité, vous connaissez ? Je vous avais dit de faire le gros dos, d’attendre encore un an ou deux que les choses se tassent mais vous êtes trop impatiente et finalement inadaptée au pragMMatisme demandé.

    Oui, nous appuyons dans l’organisation sur les M pour souligner leur importance. Vous ne semblez pas bien maîtriser le vocabulaire, ni même la grammaire de la nouvelle organisation.

    Je vous annonce donc Madame, que je vais me trouver dans l’obligation de rompre notre contrat si vous entendez vivre et travailler autrement que selon nos conventions. Je vais devoir rompre le contrat de servitude volontaire qui nous liait, si vous refusez les conventions majeures, celles qui imposent d’avoir peur du lendemain, d’obéir sans poser de questions et de ne pas avoir de réflexion commune avec les autres. Madame, vous refusez les règles de l’Organisation en vous interrogeant sur ses modes de fonctionnement. Alors veuillez trouver ci-joint le formulaire de rupture de votre contrat avec chauffage intégré au service d’on ne sait plus qui ni quoi.

    Mr Edouard Commun

    Directeur de DCTJSLP

      

    Post-Scribouillard : vous serez bien obligeante de remplir également la fiche d’évaluation sur cette séquence rupture, avec vos appréciations libres sur les attitudes de la directrice des ressources humaines à cette occasion. En effet, cette évaluation des ruptures avec l’organisation doit servir à l’évaluation des objectifs de la directrice des ressources humaines, donc à sa notation et à son avancement. Je pense que vous comprendrez donc tout son intérêt.

    La directrice de la logistique me demande de vous préciser que le formulaire doit être envoyé en trois exemplaires dans la mesure où nous ne disposons plus de papier depuis janvier et ce, jusqu’à la prochaine commande annuelle au siège en novembre. Merci aussi de remplir les trois formulaires au crayon, compte tenu des éventuelles modifications de dernière minute que nous serions amenés à faire dans l’intérêt commun.

      

    * Direction c’est très joli sur le papier

    ** Y a-t-il un pilote dans l’avion

    BBLR


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  • Elle était si belle. Elle avait un visage parfait, fin, avec ses longs cils noirs, ses yeux bleus, profonds, et ses anglaises tombant le long de ses joues délicatement rosées.

    Elle se tenait admirablement droite, dans sa robe bordeaux (avec de la dentelle noire si je me souviens bien), douce, soyeuse, si douce…

    Je l’admirais sur le lit de Mamie Marie. Mamie Marie n’était pas ma mamie mais ma vieille voisine, toute ridée, ma mamie adorée.

    Dès que je sortais de l’école, je me précipitais chez elle. Elle me serrait contre elle. Je m’enfonçais dans ses chauds replis. Elle m’offrait le goûter et elle me racontait son enfance près du Zoo de Marseille. Puis suivant un cérémonial immuable, elle m’emmenait voir SA poupée. Cette poupée, elle ne l’avait pas eu dans son enfance. Non, elle n’avait pas eu grand-chose dans son enfance !

    Cette poupée magnifique, c’est son mari qui la lui avait offerte, tant il l’aimait comme elle disait. Son mari était mort depuis longtemps déjà, mais son mari qui l’aimait tant, c’était tout pour Mamie Marie. Elle m’emmenait alors voir la poupée dans la chambre au fond du couloir. Avant nous passions devant la maquette de la maison qu’elle partageait avec son mari, il y a longtemps, avant de se retrouver dans ce tout petit appartement au cinquième étage d’une cité quelconque. La maquette du mas des Rivaro c’était quelque chose. Je la voyais cette grande maison dans une pinède. Il y avait les marches en calcaire, les pins parasols et on pouvait deviner le soleil, la lumière. Et j’apercevais Mamie, toute jeune, radieuse près de son mari. Mais Mamie Marie m’emmenait plus loin. Là, dans sa chambre au fond de l’étroit couloir, elle n’emmenait que moi, c’était notre secret. La poupée trônait sur le lit. Je rêvais de la prendre dans mes bras, mais c’était la poupée de Mamie Marie et de son mari. Il était impensable de la serrer contre moi. Je n’avais que le droit de toucher le bas de sa robe. Je n’aurais pas pu la plier comme mon vieux chien en peluche qui servait tant à passer mes colères qu’à sécher mes larmes et à recueillir les secrets. Le vieux Samuel qui n’avait presque plus d’oreilles, avec son poil rêche, ne pouvait pas se comparer à la poupée de Mamie Marie. Le vieux chien était mou, doux et il entendait tout, il savait tout. Il était mon abri. La poupée de Mamie Marie, elle était mon envie, mon initiation au monde ancien, le lien. Elle était au bout du couloir, inaccessible. Elle était déjà demain.

    BBLR


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  • La beauté aujourd’hui ce serait le sourire lumineux de la boulangère lorsqu’elle me tend le pain,

    La beauté aujourd’hui, ce serait… Badaboum ! Badaboum ! Entendre les cœurs battre d’espoir. Une aurore mauve, des mouettes, l’odeur iodée d’un changement.

    La beauté aujourd’hui ce serait de lire les mots « parfaits », ceux qui sont tapis profonds, ceux qui savent remonter le cours du temps…

    La beauté aujourd’hui, ce serait d’entendre les journalistes lire de la poésie à 13 heures,

    La beauté aujourd’hui ce serait de cesser la psalmodie des mots usés et jamais interrogés du prompteur.

    La beauté aujourd’hui, ce serait un arrêt, mais promis juste une pause (quelques minutes) des conversations répétitives et à sens unique dans ce métro, ce serait la suspension du martellement des doigts sur les ipads, ipods, iphones, smartphones et débilitumphones …

    La beauté aujourd’hui, ce serait de dérider les visages fatigués dans le RER, de voir mon voisin revenir à la parole ou au rire pendant ce trajet, de partager un livre ou un silence.

    BBLR


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  • Bienvenue ! Bonheur de voir le matin

    Entière avant d’être en terre.

    Nana N’amoureuse ! Maman sans N’amant* mais avec quelques bons N’Amis !

    Et quoi d’autre ? Approche la quarantaine, cheveux châtains (quelques fils blancs), yeux noisettes et nez en trompette, plutôt grande quand je suis

    Debout et Décidée et eh ! eh ! Un brin d’

    Imagination, de création ou d’Idées pour mieux vivre, mais aussi…

    Capable de ne rien faire que regarder s’égoutter les pensées sur le rythme de la pluie qui tambourine. Plic ! Plic ! Plic ! PLIIIIIC ! Plic…plic, plic, plic, plic

    Timide, parfois Triste, parfois maladroite, parfois sympa ou pas, parfois pas grand-chose ou au contraire beaucoup. Tout est affaire de goût, de regard… mais avant de dérouler les mots si variables selon les heures …

    Être toujours moi.

      

    * Le N’amant est mentionné par Albert Londres dans Terre d’ébène, à propos d’un jour de procès à Niafounké…

    BBLR


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  • La grande aiguille de la pendule de la gare avait rejoint la petite. Il était midi. Je regardais le tableau des départs qui venait de se renouveler. Les petites lucarnes tournaient et ma destination aléatoire allait s’afficher d’un instant à l’autre. Brève montée d’adrénaline - pourvu que ce ne soit pas Sarreguemines !

    Barcelone, départ 12h07, voie 24. Il fallait avoir la foi, je suivrais cette première destination, sans savoir où j’irais, plonger dans l’inconnu et suivre les chemins de traverse. Mon sac à dos pesait et il fallait courir jusqu’à ce quai 24. Quelle idée saugrenue mais palpitante de prendre le premier train et de partir armée de son seul sac à dos. En courant je me disais que j’avais oublié de prendre un dictionnaire franco-espagnol, mais basta ! Le train allait partir. Je m’engouffrai, haletante, dans le troisième wagon et je cherchais le contrôleur pour prendre le ticket vers cet inconnu.

    Le voyage allait être long. Installée dans un compartiment, je laissais mon âme vagabonder en suivant les arbres qui défilaient rapidement, une rivière traversée, rouge après la pluie, charriant la boue et des bouts de bois, puis des champs et des champs. Bien après, Port-Bou à l’horizon. Descente du train, changement de rails et un train cahotant, encombré, l’été, les touristes, de jeunes français, allemands, hollandais, des italiens qui partaient en groupe. Eux semblaient savoir où ils allaient mais trouvaient l’expérience du hasard intéressante.

    Mektub, c’est le destin ! Et le destin croisait ce jour-là le chemin de trois personnes qui partaient faire un périple autour de Figueras. Est-ce que je voulais me joindre à eux ?

    Mektub, il n’y a pas de hasard, je les suis. Le voyage commence par un trajet, par l’éloignement de soi. Et nous voilà, après avoir échangé sur nos vies et nos visions, entassés dans le couloir du train, à partir sur ces fameux chemins de traverse à partir de Figueras, à suivre les pas des pèlerins. Il y a là Or, Orion et Goïo, prénoms incertains, qui veulent tout autant dire lumière en hébreu qu’étoile ou terre en universel et tout et rien en tout. Ils vivent différemment, dans la nature, rejoignent des communautés où ils sont accueillis autour d’un feu. Membres de l’arc-en-ciel, ils reconstruisent les maisons bleues en tipis ou yourtes pour protéger les hommes de leur propre folie. Ils vivent en essayant d’apprendre de la vie et d’eux-mêmes, et mes pas emboîtent les leurs pour un court laps de temps peut-être pour plus longtemps, Mektub. On verra. Eh ! C’est la vie.

    BBLR


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  • Je me souviens des dunes de sable du pila, inaccessibles, et de la main de mon père.

    Je me souviens de la rentrée de classe, l’angoisse attendue, le cartable léger et le cœur battant.

    Je me souviens du sentiment débordant et des sentiments éternels, de la première amitié.

    Je me souviens d’un soleil mauve, de sa lumière encore tapie dans la brume, des mouettes, le jour du premier voyage en solitaire.

    Je me souviens des escaliers étroits en haut de La Sagrada Familia, du son des cloches se répercutant dans le corps, de la plénitude.

    Je me souviens du roulis du train qui se prolongeait, des jambes tanguant après le voyage.

    Je me souviens du corps au pied de l’immeuble et du tombeau ouvert, attendant sa descente.

    Je me souviens de son poids sur mon ventre, de son cœur battant contre mon corps, de mes larmes et de sa vie.

    BBLR


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  • La terre semblait se réveiller. Craquelée, ses blocs disjoints par la chaleur de l’été étaient tout à coup compacts. Brunie, ses essences s’extrayaient violemment après la pluie abondante. Cette odeur de terre engorgée d’eau repose l’âme tout en lui faisant entrevoir un avenir. Je n’ai pas le souvenir du jour précis où cette odeur de terre ressuscitée après l’orage m’a saisie mais il s’est ancré dans l’espoir. Cette senteur lourde et revigorante est associée au champ du possible, au lendemain.

    Mais les souvenirs font de drôles d’allers et retours, et paradoxalement cette odeur de fraîcheur mûre s’enroule dans la mémoire avec les senteurs plus lointaines de l’éveil à la vie. Une corniche, la chaleur de l’été, la ville parcourue, écrasée sous mes pas s’étale dans mon dos. Le vent souffle, ce mistral violent enfonce dans la peau les brumes de la mer. L’iode s’infiltre par tous les pores. Elle rafraîchit la chair brûlée par le soleil. Fragrance de la jeunesse, de ces instants adolescents de promesse. Mais le mistral tourne et l’air se trouve envahi des exhalaisons des mimosas qui couvrent ces beaux jardins marseillais.

    Marseille est une ville qui se sent, qui s’approche dans ses arômes, depuis le Vieux Port et les étals des poissonniers jusqu’au quartier du Panier, ses ruelles étroites où tant de senteurs se mêlent. Curry, curcuma, puis pesto et plus loin encore pistou et ail. Les odeurs viennent d’ailleurs et sont si proches ; elles s’éloignent et se mélangent dans un carnaval des sens. Les odeurs peuvent avoir un corps, un nom et être parfois toutes dans un lieu, rassemblées dans une fête des parfums.

    Au détour d’une rue, un vieux est assis devant sa porte. Il regarde le passage, la vie, les automobilistes qui s’engueulent, qui crient, et lui, il fume et il sourit. Il savoure sa pipe. Et quand je passe, j’inspire son plaisir, dans cette senteur acide et doucereuse du tabac, au milieu de la poussière et du trafic infernal de cette ville folle et si attendrissante.

    Et le carnaval des sens se poursuit, lorsqu’en quittant l’artère de la ville-monde je pénètre dans une ruelle sombre. Éblouie par le soleil l’instant d’avant, je ne distingue que les contours des habitations. Mon nez précède mes pas, saisi par un arôme puissant. Chez le torréfacteur, les grains se mêlent, se pressent, s’écrasent les uns contre les autres et dégagent un épais roulis de senteurs. Mais est-ce la même ville ? Non, ce n’est plus le même lieu, ce n’est plus la même saison. D’ailleurs, les mimosas ne fleurissent pas en été. Mon esprit s’emmêle ou est-ce mon odorat qui sort de la route ?

    Les odeurs voyagent et emportent dans nos narines les souvenirs des temps et des lieux. Parfois même elles traversent les océans et nous les suivons. Ou alors ce sont elles qui nous poursuivent dans cet avion survolant le Pacifique, entre deux petites îles. Lorsque les fleurs de Tiare que tous les voyageurs portent en couronnes, cadeaux des amis et des familles, exhalent leurs atours, les essences sont à leur comble, si prenantes qu’elles oppressent les sens, écrasant l’étroite carlingue par tant de fragrance.

    Mesdames et Messieurs, veuillez attachez votre ceinture. Nous allons entamer la descente sur Tubuaï.

    Je ne peux plus respirer. Fantasme d’anosmie. L’angoisse du virage qui semble plonger l’avion vers le seul océan sans la perspective d’une quelconque piste d’atterrissage se mêle à l’asphyxie de l’habitacle, encombré de senteurs.

    Vite ! De l’air pur !

    BBLR


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