• La trêve - Primo Levi - Grasset, Les Cahiers Rouges (1966)

    La trêve - Primo Levi - Grasset,  Les Cahiers Rouges (1966)Ô temps, suspends ton vol… Oui le temps paraît suspendu lorsqu’à la libération du camp d’Auschwitz Primo Lévi se trouve embarqué par l’Armée Rouge dans un voyage parfois surréaliste sur les routes d’Europe centrale, ponctué de brusques avancées puis de longs arrêts inexpliqués. La Trêve est ce parcours transitoire et presque initiatique entre l’indicible du camp et le retour chez soi, le difficile retour à la vie après que l’anormal soit devenu la normalité. Le train semble avancer vers la Roumanie, le lieu où les panneaux sont écrits dans une langue qui sent presque l’Italie, mais son parcours est erratique et il s’enfonce vers le nord de la Russie avec ce groupe mêlé de rescapés, de paysans exilés, de voleurs et de fous.

    Dans ce récit picaresque et rempli d’humour, Primo Levi nous décrit à la fois une Armée Rouge soumise à la loi du hasard, à la désorganisation la plus totale, mais dont les hommes et les femmes vivent aussi dans une communauté très soudée, vibrante et vivante, remplie de soubresauts et de joie enfantine. Primo Lévi nous fait vivre la libération, la folie de ces journées de fête où les Russes se tombent dans les bras les uns des autres, embrassent toute personne rencontrée sur le chemin, alternent des spectacles plus loufoques les uns que les autres… il nous raconte aussi comment s’organise le convoi de retour en suivant un schéma extérieur à toute logique. Les Russes oublient souvent de nourrir ses occupants ou fournissent des rations alternant entre une semaine d’huile et une semaine de charcuterie surabondante… C’est la pagaille ! Mais ce livre nous offre une joyeuse pagaille… un moment suspendu de réapprentissage de la vie dans un monde en ruine rempli de rencontres improbables.

    Improbable cette rencontre avec un Grec haut en couleurs. Et tout aussi improbable de se retrouver à discuter avec un prêtre polonais dans la seule langue qui leur permette de se comprendre : le latin. Lorsqu’avec son ami italien il se retrouve à imiter la poule qu’il convoite devant des villageois russes incrédules, en grattant le sol, en caquetant dans un caquètement qui semble visiblement éloigné de celui des poules russes tant l’incompréhension demeure entre Russes et Italiens… tous ces moments magnifiquement décrits avec un humour tendre par Primo Lévi marquent ce temps suspendu. Mais ce temps est une parenthèse… le retour n’est pas facile lorsque Primo Lévi dit en traversant l’Autriche qui le rapproche de son pays, « je sentais le numéro tatoué sur mon bras crier comme une plaie ». Primo Lévi revient à la réalité, mais qu’est devenue sa réalité quand réapparaît ce rêve interminable à intervalles plus ou moins rapprochés ?

    « C’est un rêve à l’intérieur d’un autre rêve, et si ses détails varient, son fond est toujours le même. (…) Le rêve intérieur, le rêve de paix est fini, et dans le rêve extérieur, qui se poursuit et me glace, j’entends résonner une voix que je connais bien. Elle ne prononce qu’un mot, un seul, sans rien d’autoritaire, un mot bref et bas ; l’ordre qui accompagnait l’aube à Auschwitz, un mot étranger et redouté : debout, « Wstawać »

    Vers quelle réalité revient celui qui a traversé l’innommable ? La Trêve avant le retour reste cette magnifique traversée, témoignage, naufrage et passage. Embarquez-vous sans hésiter !

    BBLR

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