• Les champs de bataille - Dan Franck - Grasset (2012)

    Les champs de bataille - Dan Franck - Grasset (2012)Pourquoi Jean Moulin, alias Rex, alias Max, a-t-il été dénoncé ? Cette question autour des fissures idéologiques au sein de la résistance traverse le roman de Dan Franck. Jean Moulin a-t-il été victime de ces champs de bataille politique ? A-t-il été livré aux autorités nazies pour faire prévaloir dès 1943 un projet de reconstruction de la France différent de celui qu’il portait ?

    René Hardy, alias Didot, a été accusé après guerre de cette dénonciation. Deux fois jugé, deux fois acquitté. Mais un juge en retraite ne peut se satisfaire de cette ombre sur l’assassinat de Jean Moulin. Il convoque dans un face-à-face imaginaire René Hardy, pour reprendre l’enquête et démêler les témoignages, les approximations et les silences. Et on suit pas à pas Max, René Hardy et les chefs de la résistance dans tous les évènements qui précèdent le drame de Caluire. Le ton est engagé. Le rythme est haletant, au fil d’une enquête serrée, à la recherche de ce point de basculement. Pour le juge, ce jour de Caluire est celui d’une pierre noire dans l’histoire de la Libération en construction.

    Dan Franck nous embarque dans la quête obsessionnelle de ce juge qui crie en écho à notre société désenchantée que les idéaux et les espoirs ont toujours leur sens pour ne pas sombrer dans le cynisme, l’abandon de la démocratie et de la justice sociale.

    « À vingt ans, songe encore le juge, René Hardy lisait Le Populaire. Il était membre de la Ligue des droits de l’homme. Il fit même un passage éclair au Parti communiste. Comme Doriot, Déat et leurs amis. A l’époque, on franchissait aisément la ligne jaune avant de reprendre la route en sens contraire. Aujourd’hui, de même. Passé commun, présents composés.

    Au fil des années, le juge a vu beaucoup de ses amis s’écarter des lignes qui étaient les leurs dans leur jeunesse. Il a fini par s’éloigner d’eux, doucement, sans violence, comme  un bateau dérivant seul. Ils se retrouvaient jadis dans les manifestations contre : contre les barricades d’Alger, contre l’assassinat de Martin Luther King, contre la guerre au Vietnam, contre l’assassinat de Salvador Allende… L’âge les a peu à peu poussés sur les bas-côtés des rassemblements. Faute d’être allés où que ce soit, ils sont revenus de tout. Naguère prompts à lever le poing, ils se sont assis sur les combats de leur jeunesse. Après les avoir dépréciés, ils les ont niés. Le pays, la Nation, les hymnes patriotiques sont devenus dans leur bouche des concepts défendables. Hier, ils condamnaient l’invasion de la baie des Cochons. Plus tard, ils ont applaudi à l’occupation de l’Irak, admis le néolibéralisme comme le stade indépassable et moderne de l’impérialisme naguère tant combattu. Ils ne descendent plus dans la rue, pas plus le 1er mai que pour la défense des sans-droits. Contre l’extrême-droite, éventuellement car ils retrouvent là l’odeur de leurs anciens combats, omettant de s’avouer que celui-ci ne comporte aucun risque tant s’est généralisée la désignation de boucs émissaires hideux. Ils ont oublié les deux Pierre, Goldman et Overney. Ils applaudissent 1936 et la semaine de quarante heures mais estiment  que les trente-cinq heures, soixante ans après, sont une aberration économique. C’est ainsi qu’ils jugent, selon ce critère unique : l’économie. Les conquêtes sociales ne les intéressent plus. Ils sont réalistes : ils demandent le possible. Ils ne rêvent pas, espèrent peu, l’utopie leur apparaît comme un enfantillage. Certains votent à droite tout en revendiquant une appartenance à la gauche. C’est celle-ci qui a trahi, disent-ils, non eux-mêmes. Dans le meilleur des cas, ils sont devenus les premiers gardiens du temple qu’ils fracassaient dans leur jeunesse. Au pire, ils mêlent leurs voix, devenues souveraines, à celles qu’applaudiraient René Hardy et ses camarades s’ils vivaient encore. Gauche et droite assemblées. Rouges et bruns. Riposte laïque et Bloc identitaire ».

    Sa lecture donne envie d’aller chercher plus loin sur ce point de basculement, sur ces tensions intérieures parmi des combattants aux idées si disparates… il donne envie d’aller ouvrir le témoignage de Daniel Cordier, Alias Caracalla, que l’on dévore… (voir le livre de Daniel Cordier).

    BBLR

    Les champs de bataille - Dan Franck - Grasset (2012)


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :